Propagande russe : comment le Kremlin forme des “correspondants” de guerre pour travailler dans les territoires occupés d'Ukraine

En Russie, une école en ligne financée par le Kremlin façonne une génération de “correspondants” de guerre destinés à travailler dans les territoires ukrainiens occupés. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette nouvelle fabrique de propagandistes, qui vient compléter la répression systématique des journalistes indépendants afin d’anéantir tout accès à l’information indépendante et imposer le récit officiel du Kremlin sur la guerre en Ukraine.

Vladimir Poutine avait annoncé dès mars 2022 mener une “guerre de l’information”. Et c’est bien une armée de propagandistes qu’il forme jusque dans les territoires occupés. Sur une photo publiée le 8 avril 2024 sur le Facebook russe, Vkontakte, “l’École des correspondants de guerre” (“Shkola voenkora”), présente sa première promotion de diplômés, qui pose devant un immeuble partiellement détruit dans les territoires occupés d’Ukraine. Les 20 étudiants de cette nouvelle école russe de “journalisme” en ligne, qui dispense une formation gratuite pour devenir le parfait correspondant de guerre aligné sur les positions du Kremlin, ont obtenu leur diplôme le 12 mars.

Au programme : apprendre à mener des interviews avec des soldats russes, préparer la logistique d’un reportage, ou encore effectuer un stage sur la ligne de front. Les cours sont dispensés par des correspondants travaillant déjà dans les territoires ukrainiens occupés pour des médias d’État russes tels que la chaîne de télévision RT, l’agence de presse Ria Novosti, ou des quotidiens pro-Kremlin comme Izvestia. Certains intervenants sont des figures clés du système de propagande russe, à l’instar d’Alexandre Malkevitch, fondateur d’un réseau de médias dans les territoires occupés d’Ukraine, ou du propagandiste russe Sergueï Mardan, qui travaille pour le tabloïd pro-gouvernemental Komsomolskaïa Pravda et qui est poursuivi en Ukraine pour “appels au génocide”. 

“Le Kremlin façonne une nouvelle génération de 'correspondants de guerre', en réalité une armée de propagandistes, pour travailler dans les territoires ukrainiens occupés. Pendant ce temps, les forces russes continuent de réprimer impunément toute voix dissidente, contraignant les journalistes indépendants en Russie à choisir entre l'exil ou la prison, et traquant ceux dans les territoires occupés qui ne collaborent pas. RSF dénonce ces méthodes destinées à effacer le journalisme fiable et un écosystème médiatique pluriel, afin d’imposer par tous les moyens le récit officiel du Kremlin.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

Cette école en ligne a été fondée par Vera Kironenko, une entrepreneuse russe de 26 ans diplômée d’une faculté de journalisme, à l’aide d’une subvention de près de 100 000 euros octroyée en 2023 par le fonds présidentiel russe pour les initiatives culturelles. Basée à Tomsk, ville située à plus de 3 500 kilomètres à l’est de Moscou, elle est active sur les réseaux sociaux pour promouvoir son projet. Après avoir invité “les journalistes, les étudiants des universités spécialisées, les écrivains, les auteurs de blogs, les cinéastes et tous ceux qui travaillent dans les médias” à suivre la “formation”, l’école revendiquait, peu après son ouverture le 1er décembre 2023, plus de 1 000 inscrits. Officiellement, le financement du Kremlin s’arrête à la fin du mois d’avril, mais les inscriptions pour une nouvelle promotion sont déjà ouvertes.

Cette école est une nouvelle pierre à l’édifice de la propagande russe au réseau déjà étendu. En septembre 2023, RSF dénonçait déjà la formation aux “métiers du journalisme” du centre Mediatopol, soutenu par les forces d’occupation russes, à Melitopol dans le sud-est de l’Ukraine.

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