Portraits des journalistes emprisonnés par le régime de Sissi
À l’occasion du 10e anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi, Reporters sans frontières (RSF) dévoile les visages et les profils de 16 des 18 journalistes actuellement incarcérés et demande leur libération immédiate et inconditionnelle.
Mise à jour du 25/03/24 : Quatre journalistes ont été libérés depuis la publication de ce communiqué. Les journalistes Hala Fahmy et Safaa al-Korbagy ont été libérés le 08/02 et les journalistes Bahaa el-Din Ibrahim et Rabie el-Sheikh ont été libérés le 22/03. Il reste encore 14 professionnels des médias égyptiens injustement emprisonnés.
Au moins 18 journalistes se trouvent actuellement derrière les barreaux en Égypte. Seuls six d’entre eux ont été jugés et condamnés, tous les autres sont en détention provisoire, certains depuis cinq ans, bien au-delà du maximum légal. La plupart sont accusés de "diffusion de fausses nouvelles”, "adhésion à un groupe terroriste/organisation interdite" ou encore "menace à la sécurité de l'État". En réalité, tous ont été arrêtés pour leurs articles, leurs reportages, leur travail de journaliste, ou pour avoir défendu leurs confrères et l’exercice de ce métier.
“Cette longue liste de journalistes emprisonnés recensés par RSF est un rappel important de la réalité de la présidence Sissi, après dix ans de pouvoir. Ces journalistes n’ont rien à faire en prison. Nous demandons leur libération immédiate et inconditionnelle.
Parmi ces prisonniers, certaines sont des figures emblématiques de la révolution de 2011, comme les blogueurs Alaa Abdel Fattah et Mohamed Ibrahim Radwan connu sous son pseudonyme, Mohamed Oxygen. Les deux ont bénéficié de quelques mois de libération conditionnelle avant d’être de nouveau incarcérés dans des conditions extrêmement dures. Le premier a failli mourir de sa grève de la faim entamée pour dénoncer ses conditions de détention, le deuxième a tenté de suicider.
Plusieurs journalistes souffrent de défaut de soin en prison, dont la photojournaliste Alia Awad, arrêtée en 2017 pour avoir publié un discours d’une organisation interdite, condamnée dans un procès de masse, à quinze ans de prison. Elle est l’une des trois femmes journalistes qui croupissent actuellement derrières les barreaux.
Sur la dizaine de journalistes travaillant pour le groupe Al Jazeera qui ont été arrêtés ces dernières années, deux sont encore incarcérés Rabieh el-Sheikh et Bahaa el-Din Ibrahim. L'arrestation de journalistes du groupe Al Jazeera, financé par le Qatar, est une tendance continue depuis l'arrivée au pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi en 2013, et le début de sa "chasse aux Frères musulmans", le parti de son prédécesseur déchu Mohamed Morsi.
Seuls les portraits de 16 des 18 journalistes actuellement incarcérés sont dévoilés ci-dessous. Les familles des deux autres prisonniers préférant à ce stade ne pas rendre public le cas de leur proche, craignant que cela n’aggrave leur situation.
Ahmed MONTASIR, journaliste économique indépendant
Crime supposé : poursuivi pour “publication de fausses nouvelles” après un article remettant en cause le système économique égyptien.
Emprisonné depuis : octobre 2022
Statut judiciaire : en détention provisoire
Mahmoud SAAD DIAB, journaliste pour le quotidien officiel Al-Ahram
Crime supposé : soupçonné de “collaboration avec une entité étrangère” alors qu’il voyageait pour un reportage avec une chaîne de télévision chinoise
Emprisonné depuis : le 6 septembre 2022
Statut judiciaire : en détention provisoire
Tawfik GHANEM, ancien rédacteur en chef d’Islam Online et ancien chef du bureau du Caire de l'agence de presse turque Anadolu
Crime supposé : poursuivi pour “diffusion de fausses nouvelles” et “adhésion à un groupe interdit”. La ligne éditoriale de l’agence turque qu’il dirigeait était surveillée par les autorités depuis leur couverture du coup d'État du 3 juillet 2013
Emprisonné depuis : le 21 mai 2021
Statut judiciaire : en détention provisoire
Hamdy AL-ZAEEM, photographe indépendant
Crime supposé : poursuivi pour “diffusion de fausses nouvelles” et “adhésion à un groupe interdit”, car considéré comme proche des Frères musulmans
Emprisonné depuis : le 4 janvier 2021
Statut judiciaire : en détention provisoire
Ahmad ABU ZEID AL-TANNOUBI, journaliste au quotidien al DIyar, et chercheur à l'Observatoire arabe des libertés de la presse
Crime supposé : accusé de “publication de messages indiquant les lieux des embuscades des forces de sécurité”, (...) et “création d'une page (...) chargée d'organiser des campagnes médiatiques contre la présidence et de messages en faveur des Frères musulmans” dont il était proche
Emprisonné depuis : le 5 juin 2020
Statut judiciaire : condamné à 10 ans de prison le 2 février 2021
Mostafa SAAD, reporter et photographe indépendant
Crime supposé : poursuivi pour “diffusion de fausses nouvelles” et “adhésion à un groupe terroriste” alors qu’il collaborait avec la chaîne Al Jazeera au Qatar, rival politique de l'Égypte
Emprisonné depuis : le 8 novembre 2019
Statut judiciaire : en détention provisoire
Alaa ABDEL FATTAH, blogueur et écrivain
Crime supposé : accusé d’“appartenance à un groupe terroriste”, de “diffusion de fausses informations portant atteinte à la sécurité nationale” ainsi que d’avoir “utilisé des réseaux sociaux en vue de commettre une infraction liée à la publication” figure emblématique de la révolution égyptienne, il est l’auteur de nombreux textes et blogs critiquant l'État, le gouvernement égyptien et la corruption
Emprisonné depuis : le 29 septembre 2019
Statut judiciaire : condamné à 5 ans de prison le 20 décembre 2021
Mohamed IBRAHIM RADWAN alias “Mohamed Oxygen”, blogueur, fondateur du blog Oxygen Masr
Crime supposé : poursuivi pour “atteinte à la sécurité de l'État” et “diffusion de fausses nouvelles” après avoir continué son travail de blogueur alors qu’il était en liberté conditionnelle
Emprisonné depuis : le 21 septembre 2019
Statut judiciaire : condamné à 4 ans de prison le 20 décembre 2021
Badr MOHAMED BADR, rédacteur en chef du quotidien Al-Osra Al-Arabiya, correspondent pour Al -Jazeera
Crime supposé : poursuivi pour “appartenance à un groupe terroriste” et “diffusion de fausses nouvelles”, il était déjà dans le viseur des autorités avant la révolution pour avoir participé à une conférence organisé par des groupes proches des Frères musulmans
Emprisonné : le 3 décembre 2019
Statut judiciaire : en détention provisoire
Mohamed SAID FAHMI, journaliste pour le quotidien Al-Watan
Crime supposé : accusé de nouvelles charges à chaque fin de période de détention provisoire, après avoir collaboré avec des médias qatariens.
Emprisonné depuis : le 31 mai 2018
Statut judiciaire : en détention provisoire
Alia AWAD, photographe indépendante
Crime supposé : accusée de "terrorisme” et de “vandalisme” après avoir filmé des hommes masqués, membres d’un groupe militant.
Emprisonnée depuis : le 23 octobre 2017
Statut judiciaire : condamné à 15 ans de prison le 28 juin 2022 lors d'un procès collectif regroupant 215 personnes accusées de soutenir les Frères musulmans.
Abdel RAHMAN SHAHEEN, correspondent pour Freedom and Justice Gate
Crime supposé : accusé d’“aide au terrorisme”, de “diffusion de fausses nouvelles”, d’“incitation et violence lors de manifestations”, après avoir travaillé pour Freedom and Justice Gate, un média accusé d'être affilié aux Frères musulmans, déclaré organisation terroriste.
Emprisonné depuis : le 9 avril 2014
Statut judiciaire : purgeant deux peines de prison d'une durée totale de six ans