Plainte d’Altice contre le site Reflets : le tribunal de commerce ne doit pas laisser contourner le droit de la presse

La plainte du groupe Altice contre le site d’information Reflets, si elle était accueillie par le tribunal de commerce, autoriserait un contournement du droit de la presse et de ses garanties spécifiques. Reporters sans frontières (RSF) appelle donc le tribunal de commerce à rejeter la plainte.

La plainte du groupe de télécoms et de médias français Altice doit être jugée en référé le 6 octobre par le tribunal de commerce de Nanterre. Déposée contre le site d’information en ligne indépendant Reflets, elle demande que soit ordonnée la suppression d’une série d’articles publiés en septembre par le média sur le train de vie du PDG d’Altice et de sa famille, sous astreinte de 500 euros par jour. Elle demande également la destruction des données obtenues sur Altice (disponibles en ligne, les informations du site sont issues d’un piratage dont a été victime le groupe en août), et qu’il soit interdit à Reflets de publier “tous contenus se rapportant aux données piratées c’est-à-dire que le média n’ait plus le droit d’écrire sur le sujet.

Cette plainte, qui concerne les publications d’un média et devrait être jugée au regard du droit de la presse, a pourtant été déposée sur le fondement de la loi sur le secret des affaires, et sera jugée par le tribunal de commerce. Les garanties procédurales dont doivent bénéficier les médias en application de la loi de 1881 sur la presse et le quantum limité des peines prévu par le texte ne seront donc pas applicables. C’est un principe constant que les dossiers sur les contenus relèvent du droit de la presse. Par ailleurs, si besoin était d’un autre argument, le secret des affaires prévoit une exemption pour l’exercice de la liberté d’information.

Il est essentiel que le tribunal de commerce rejette la plainte déposée par Altice, en application de l’exception journalistique prévue par la loi de 2018 sur le secret des affaires, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Nous nous sommes déjà alarmés d’une amende infligée par l’Autorité des marchés financiers à une agence de presse, pour une erreur certes regrettable, mais si le tribunal de commerce se met aussi à statuer sur le travail journalistique, alors nous entrerons dans une dérive inquiétante.

L’article 1 de la loi sur le secret des affaires inscrit en effet dans le Code de commerce un article L.151-8 qui dispose que “le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d'information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

RSF avait exprimé ses inquiétudes sur cette loi sur le secret des affaires en amont de son adoption en 2018. L’organisation craignait notamment qu’elle ne permette de contourner ces garanties spécifiques au droit de la presse, définies justement pour protéger la liberté d’expression, et qu’elle ne soit donc un nouvel outil entre les mains de ceux qui cherchent à bâillonner les journalistes. Cette affaire démontre que ces craintes étaient justifiées. 

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