Pedro Cayuqueo face à l’arbitraire : le déni de justice au nom de la censure
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Tribune publiée le 28 novembre 2012 sur les sites
Bío Bío Nacional
The Clinic Rumeur ou mauvaise plaisanterie ? La détention, le 24 novembre dernier dans la région de Temuco, du journaliste indigène mapuche Pedro Cayuqueo Millaqueo s’apparentait, de prime abord, à un mauvais rêve. Triste hasard d’un contrôle routier, vraiment ? Alors qu’il circule ce soir-là en voiture avec sa fille et deux de ses neveux – tous trois mineurs – aux environs de la commune de Teodoro Schmidt, le directeur des revues Azkintuwe et Mapuche Times est intercepté par deux carabiniers qui invoquent un mandat d’arrêt à son encontre. L’affaire est ancienne et a déjà été jugée mais peu importe. Pedro Cayuqueo devra attendre minuit avant de repartir libre. Le “mauvais rêve” relève à la fois du scandale judiciaire et de la persécution politique caractérisée. L’un révèle l’autre. Le scandale judiciaire dure depuis plus d’une décennie. Pedro Cayuqueo avait écopé, en octobre 2003, d’une peine de 61 jours de prison assortis d’une amende pour “usurpation de terrain” et “recel de vol de bois”, en 1999, lors d’une occupation de terres spoliées aux communautés mapuches et attribuées à l’entreprise agroindustrielle Forestal Mininco. Incarcéré une première fois en 2004 et purgeant le temps de peine prononcé, le journaliste subit également la confiscation de deux cents exemplaires d’Azkintuwe – revue qu’il a fondée après l’occupation de terres de Traiguén – et jamais rendus depuis. Première incarcération. Et première censure. La même logique est à l’œuvre lorsque Pedro Cayuqueo est arrêté une deuxième fois pour la même affaire, en juin 2005, et astreint à 41 jours de réclusion nocturne au motif qu’il ne s’est pas acquitté de l’amende prévue par sa condamnation. Obligé de dormir en prison à 90 kilomètres de chez lui, il lui faudra dix jours pour obtenir son transfert vers un lieu proche du domicile familial. Deuxième arrestation. Et deuxième censure. Ce retour en prison est intervenu alors que Pedro Cayuqueo venait de solliciter un visa pour se rendre à Vancouver, au Canada, où il devait participer à une rencontre de journalistes indigènes du continent. Bien qu’épargné, cette fois-ci, par un long séjour carcéral, Pedro Cayuqueo n’en aura pas moins enduré un autre imbroglio juridique. Sa peine a été purgée, et le revoici arrêté à l’appui d’un mandat d’arrêt devenu caduc et datant de l’année de son premier séjour en prison. Plus grave, l’ordre d’une juge de Traiguén de le libérer, ce 24 novembre, se heurte au refus des carabiniers qui l’ont pourtant appelée mais disent attendre d’elle un ordre écrit. Les carabiniers sont-ils au fait des évolutions du système pénal de leur propre pays, passé depuis peu de la procédure écrite à la procédure orale ? Là encore, l’ombre de la censure plane sur la “simple” mesure administrative. Car la voix de Pedro Cayuqueo porte, au Chili et hors des frontières. Le directeur de Mapuche Times vient de publier son livre “Au seul motif d’être indiens” (“Solo por ser indios”). Son arrestation suit de peu une visite en Argentine, où il s’est rendu sans problème, pour débattre d’autant de thèmes qui constituent le cœur de l’actualité araucane mais identifient l’ensemble du continent : atteintes à l’environnement, réforme agraire en souffrance, violations des droits et territoires des populations natives, accès limité, sinon inexistant, aux moyens d’information et aux fréquences de diffusion pour ces mêmes communautés. Que révèle l’affaire Cayuqueo ? Les limites d’un État de droit, sans doute, mais aussi et surtout la persistance d’un déni, toujours ancré dans la société chilienne depuis la fin de la dictature. Car l’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est un sinistre avertissement lancé à Elena Varela, documentariste emprisonnée en 2008, à Marcelo Garay Vergara, journaliste d’El Ciudadano arrêté un 11 septembre 2010, à Marcela Rodríguez, photographe du site Mapuexpress détenue en juin 2011, et à tous ceux qui osent informer de l’un des plus anciens conflits sociaux et environnementaux du continent. L’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est également un signal discriminatoire adressé aux médias communautaires ou digitaux chiliens – notamment Mapuches – qui tentent désespérément d’obtenir leur place sur les ondes dans un spectre médiatique concentré à l’extrême. L’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est enfin une insulte au pluralisme, aujourd’hui en débat en Amérique latine. Et au Chili ? Benoît Hervieu, Bureau Amériques de Reporters sans frontières
Bío Bío Nacional
The Clinic Rumeur ou mauvaise plaisanterie ? La détention, le 24 novembre dernier dans la région de Temuco, du journaliste indigène mapuche Pedro Cayuqueo Millaqueo s’apparentait, de prime abord, à un mauvais rêve. Triste hasard d’un contrôle routier, vraiment ? Alors qu’il circule ce soir-là en voiture avec sa fille et deux de ses neveux – tous trois mineurs – aux environs de la commune de Teodoro Schmidt, le directeur des revues Azkintuwe et Mapuche Times est intercepté par deux carabiniers qui invoquent un mandat d’arrêt à son encontre. L’affaire est ancienne et a déjà été jugée mais peu importe. Pedro Cayuqueo devra attendre minuit avant de repartir libre. Le “mauvais rêve” relève à la fois du scandale judiciaire et de la persécution politique caractérisée. L’un révèle l’autre. Le scandale judiciaire dure depuis plus d’une décennie. Pedro Cayuqueo avait écopé, en octobre 2003, d’une peine de 61 jours de prison assortis d’une amende pour “usurpation de terrain” et “recel de vol de bois”, en 1999, lors d’une occupation de terres spoliées aux communautés mapuches et attribuées à l’entreprise agroindustrielle Forestal Mininco. Incarcéré une première fois en 2004 et purgeant le temps de peine prononcé, le journaliste subit également la confiscation de deux cents exemplaires d’Azkintuwe – revue qu’il a fondée après l’occupation de terres de Traiguén – et jamais rendus depuis. Première incarcération. Et première censure. La même logique est à l’œuvre lorsque Pedro Cayuqueo est arrêté une deuxième fois pour la même affaire, en juin 2005, et astreint à 41 jours de réclusion nocturne au motif qu’il ne s’est pas acquitté de l’amende prévue par sa condamnation. Obligé de dormir en prison à 90 kilomètres de chez lui, il lui faudra dix jours pour obtenir son transfert vers un lieu proche du domicile familial. Deuxième arrestation. Et deuxième censure. Ce retour en prison est intervenu alors que Pedro Cayuqueo venait de solliciter un visa pour se rendre à Vancouver, au Canada, où il devait participer à une rencontre de journalistes indigènes du continent. Bien qu’épargné, cette fois-ci, par un long séjour carcéral, Pedro Cayuqueo n’en aura pas moins enduré un autre imbroglio juridique. Sa peine a été purgée, et le revoici arrêté à l’appui d’un mandat d’arrêt devenu caduc et datant de l’année de son premier séjour en prison. Plus grave, l’ordre d’une juge de Traiguén de le libérer, ce 24 novembre, se heurte au refus des carabiniers qui l’ont pourtant appelée mais disent attendre d’elle un ordre écrit. Les carabiniers sont-ils au fait des évolutions du système pénal de leur propre pays, passé depuis peu de la procédure écrite à la procédure orale ? Là encore, l’ombre de la censure plane sur la “simple” mesure administrative. Car la voix de Pedro Cayuqueo porte, au Chili et hors des frontières. Le directeur de Mapuche Times vient de publier son livre “Au seul motif d’être indiens” (“Solo por ser indios”). Son arrestation suit de peu une visite en Argentine, où il s’est rendu sans problème, pour débattre d’autant de thèmes qui constituent le cœur de l’actualité araucane mais identifient l’ensemble du continent : atteintes à l’environnement, réforme agraire en souffrance, violations des droits et territoires des populations natives, accès limité, sinon inexistant, aux moyens d’information et aux fréquences de diffusion pour ces mêmes communautés. Que révèle l’affaire Cayuqueo ? Les limites d’un État de droit, sans doute, mais aussi et surtout la persistance d’un déni, toujours ancré dans la société chilienne depuis la fin de la dictature. Car l’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est un sinistre avertissement lancé à Elena Varela, documentariste emprisonnée en 2008, à Marcelo Garay Vergara, journaliste d’El Ciudadano arrêté un 11 septembre 2010, à Marcela Rodríguez, photographe du site Mapuexpress détenue en juin 2011, et à tous ceux qui osent informer de l’un des plus anciens conflits sociaux et environnementaux du continent. L’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est également un signal discriminatoire adressé aux médias communautaires ou digitaux chiliens – notamment Mapuches – qui tentent désespérément d’obtenir leur place sur les ondes dans un spectre médiatique concentré à l’extrême. L’arrestation de Pedro Cayuqueo, c’est enfin une insulte au pluralisme, aujourd’hui en débat en Amérique latine. Et au Chili ? Benoît Hervieu, Bureau Amériques de Reporters sans frontières
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20.01.2016