Pakistan : RSF alerte sur l’adoption de lois menaçant la liberté de la presse, à l'approche des élections générales
Avant de provoquer la dissolution du Parlement, le gouvernement de Shehbaz Sharif a fait passer en force plusieurs réformes liberticides, sous prétexte de combattre la “désinformation”, la “cybercriminalité” et l’“espionnage”. Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement à abroger ces dispositions législatives et à engager une concertation avec la société civile pour élaborer une véritable réforme préservant la liberté de la presse et le droit à l’information.
C’est dans le chaos législatif le plus total, à quelques heures de la dissolution du Parlement, que le gouvernement de Shehbaz Sharif à réussi le tour de force de faire adopter à la va-vite, par les deux chambres, ses amendements à l’ordonnance sur l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA Amendment Act, 2023). Un texte qui lui ouvre la voie à la censure des médias et qui avait pourtant suscité la polémique. Peu de temps auparavant, il avait déjà fait adopter, dans des conditions tout aussi hâtives, l'amendement de la loi sur les secrets officiels (Official Secrets Amendment Bill, 2023), qui pourrait également être largement utilisée pour s’attaquer aux journalistes. Et même après son départ, il pourrait voir un autre de ses projets de loi draconiens, la “loi sur la sécurité électronique” (E-Safety Bill 2023), déjà présenté, être adopté prochainement. Ces différents textes, préparés sans consultation de la société civile, posent de sérieux risques d'atteinte à la liberté de la presse. Au contraire d’améliorer la situation des médias, ils menacent de les censurer.
“Le gouvernement a réussi son stratagème : celui de diviser la classe médiatique sur la base de maigres concessions, tout en faisant passer des textes dont l’objectif réel est le contrôle de l’appareil médiatique en vue des élections générales. C’est dans un contexte d’instabilité politique que ces réformes dangereuses favorisant la censure ont été imposées. Nous appelons le prochain Parlement à annuler ces législations constituant une sérieuse menace pour la liberté de la presse et à engager un dialogue avec la société civile afin d’élaborer une véritable réforme respectueuse du droit à l’information.
Intentions sournoises
C’est un véritable sketch législatif : adopté par l’Assemblée nationale le 2 août dernier puis abandonné le 7 août – après une levée de boucliers –, la réforme de l’ordonnance de la PEMRA a finalement été réintroduite et adoptée par les deux chambres en quelques heures, juste avant la dissolution du Parlement, le 9 août. Présentée par la ministre de l’Information, Marriyum Aurangzeb, comme un moyen de “protéger” et de “responsabiliser” les professionnels des médias électroniques, elle a été saluée par certains membres de syndicats tels que l’Union fédérale des journalistes du Pakistan (Pakistan Federal Union of journalists, PFUJ) ou l’Association des radiodiffuseurs du Pakistan (Pakistan Broadcasters Association, PBA). Le texte, consulté par RSF, propose pourtant de bien maigres avancées, telles que l’obligation pour les employeurs de payer les salariés dans un délai maximum de deux mois, alors qu’ils n’étaient tenus à aucun délai jusqu’alors ; l'impossibilité pour le président de l’autorité de régulation de décider à lui seul de la suspension d’une chaîne de diffusion ; ou encore l’intégration de membres de la PFUJ et de la PBA au sein de la PEMRA, mais sans leur donner de droit de vote.
Au contraire, cette réforme inquiète davantage qu'elle ne rassure. En effet, la PEMRA, dont la mission est, depuis 2002, de valider les licences des médias électroniques sur des critères constitutionnels, peut, avec ce texte, devenir un véritable appareil de censure dans les mains du gouvernement. Le préambule de la loi dispose que l’autorité est chargée de la diffusion d’ “informations authentiques”, sans donner de définition précise de ce terme. À l’opposé, la section 2 (ha) introduit une caractérisation extrêmement large et ambiguë de la “désinformation” à savoir : “des fausses informations, trompeuses, manipulées, créés ou fabriquées pour être propagées ou partagées dans l’intention de nuire à la réputation ou de harceler toute personne à des fins politiques, personnelles, économiques ou sans faire l’effort d’obtenir le point de vue d’une autre personne ou en ne couvrant pas assez l’avis de cette dernière”. La PEMRA pourrait, avec un très large pouvoir d’appréciation, retirer la licence ou suspendre n’importe quel média accusé de diffuser ces “fausses informations”. Celui-ci serait également puni d’une amende non plus d’un million de roupies (environ 3 220 euros) mais de dix millions de roupies (environ 32 196 euros).
Rappelant que cet amendement relève d’une violation de l’article 19 (a) de la Constitution garantissant le droit à l’information pour chaque citoyen, le partenaire de RSF au Pakistan, Freedom Network, avait également dénoncé l'absence de concertation avec la société civile pour son élaboration.
Étendre le pouvoir des agences de renseignement
Autre décision inquiétante : ce 1er août, l’Assemblée nationale a aussi adopté, à la hâte et en toute discrétion – la copie du projet n'a été distribuée qu’à une partie des députés du Parlement – un amendement de la loi centenaire sur les secrets officiels octroyant, notamment, au renseignement pakistanais le droit de perquisitionner n’importe quel lieu et d’arrêter, sans mandat d’arrêt et avec usage de la force, toute personne considérée comme “espion”. Seulement, la section 8-A qui introduit la notion d’”ennemi” [de l’État] ne fait aucune distinction entre un espion et une personne ayant diffusé des informations sensibles d’intérêt public.
En donnant aux agences de renseignement un quasi blanc-seing pour agir comme elles l’entendent, cette loi étend encore davantage les pouvoirs d’institutions déjà puissantes au Pakistan, et qui se sont attaquées à plusieurs reprises aux journalistes, à l’instar du journaliste Imran Riaz Khan. Arrêté en 2022 pour avoir critiqué les services secrets, il est porté disparu depuis le 11 mai dernier. Le gouvernement de Shehbaz Sharif n’en est pas à son premier coup d’essai. En février dernier, RSF dénonçait un amendement au Code pénal visant à faire taire toute critique de l’armée.