Pakistan : la BBC contrainte de quitter les écrans de télévision pour échapper à la censure
La BBC a annoncé mettre fin à la diffusion de son émission Sairbeen sur la chaîne Aaj TV après des ingérences continues du diffuseur, lui-même objet de pressions de la part des autorités pakistanaises. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un cas de censure éhonté, et appelle le gouvernement d’Islamabad de cesser d’interférer dans la ligne éditoriale des médias.
Clap de fin pour le journal d’information de la BBC à la télévision pakistanaise. Le programme Sairbeen, réalisé par les services en ourdou de la BBC, et diffusé sur la chaîne privée Aaj TV depuis 2015, ne reviendra pas sur les écrans, suite à la décision du média britannique de rompre le contrat de diffusion.
Cette émission quotidienne d’une demi-heure, traitant de l’actualité et de l’économie pakistanaise, n’était déjà plus diffusée depuis plus de deux mois sur Aaj TV. “Nous avons subi des ingérences dans nos bulletins d’information à partir du mois octobre”, explique dans un communiqué le directeur du service Monde de la BBC, James Angus. Nous avons laissé suffisamment de temps à Aaj TV pour qu’ils s’appliquent à rétablir le programme [originel] à l'antenne.” De fait, le 15 janvier, la BBC a dénoncé une rupture de confiance majeure avec son partenaire.
Les “ingérences” que mentionne la direction du groupe britannique sont un euphémisme pour désigner en réalité la censure de certains contenus par Aaj TV, qui est elle-même soumise à des pressions insistantes de la part des autorités politico-militaires.
Diktat
Voice of America (VOA), dont Aaj TV diffuse également un bulletin d’information quotidien, a également fait part de cette immixtion de la chaîne dans les contenus éditoriaux. A plusieurs reprises, le diffuseur a interrompu le programme ou censuré certaines séquences sans même avertir son partenaire.
“En décidant de mettre fin à son contrat avec Aaj TV, la BBC ne fait que s’opposer au diktat que les autorités pakistanaises imposent aux médias audiovisuels, remarque le responsable du bureau Asie Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous appelons le gouvernement du Premier ministre Imran Khan à cesser ces ingérences dans la ligne éditoriale des organes de presse. Ce type de pratique est fondamentalement antidémocratique, et rappelle les pires heures de la dictature militaire au Pakistan.”
Les autorités de régulations pakistanaises n’hésitent pas à censurer les chaînes d’information en continu lorsque leurs contenus ne relaient pas la voix du pouvoir civil ou militaire. En juillet 2019, l’interview d’un ancien président sur la chaîne Geo News avait été brutalement coupée par les opérateurs du câble sur demande de l’état-major de l'armée.
Suspension
Quelques jours plus tard, trois chaînes d’information en continu avaient été suspendues par l’autorité de régulation de l’audiovisuel pour avoir diffusé la conférence de presse d’un membre de l’opposition.
L’émission de la BBC reste pour le moment disponible, tous les jours, sur Internet. Toutefois, un projet de régulation des contenus audiovisuels en ligne, rendu public l’année passée, et dont RSF avait publié une analyse, fait peser de lourdes menaces sur l’avenir de la liberté éditoriale des contenus journalistiques sur Internet.
Le Pakistan occupe la 145e position sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.