Ouzbékistan : le silence pesant du blogueur anticorruption Otabek Sattoriy depuis sa sortie de prison
Alors que l’Ouzbékistan s’apprête à organiser le 27 octobre des “élections” législatives, qui n’ont jamais été libres depuis l’indépendance du pays en 1991, toute critique du régime reste risquée, comme l’illustre le cas d’Otabek Sattoriy. Ce blogueur, qui a eu pour seul tort de recueillir des témoignages exposant la corruption, est désormais réduit au silence, après trois ans passés en prison sur la base de fausses accusations.
Sorti de prison il y a huit mois, Otabek Sattoriy n’est toujours pas vraiment libre. Théoriquement, selon une décision de justice du 5 février 2024, le blogueur devrait pouvoir donner de ses nouvelles, avoir des contacts avec l’extérieur et publier sur ses réseaux sociaux librement, car sa peine a été commuée en “travail correctionnel” avec versement à l’État de 20 % de ses revenus. Mais il reste silencieux et injoignable, comme pendant les trois années qu’il a passées derrière les barreaux.
Sa seule déclaration aurait été recueillie par une association locale qui a pu le rencontrer en prison quelques jours avant sa libération. Otabek Sattoriy aurait prononcé une phrase d’éloge sur le président Shavkat Mirziyoyev, le qualifiant de “leader à haut potentiel”.
“Il semble qu’Otabek Sattoriy subit des pressions l’empêchant de s’exprimer et même de sortir de chez lui. Seul un député a déjà osé prendre sa défense publiquement, l’ancien journaliste Rasoul Koucherbaev, qui a renoncé à son mandat depuis. À l’aube d’élections législatives jouées d’avance, RSF alerte sur la situation d’Otabek Sattoriy, appelle les autorités ouzbèkes à respecter sa liberté d’expression et invite les ambassadeurs à lui rendre visite à Termez pour entendre le journaliste sur son sort.
Condamné pour avoir informé
Auteur d’enquêtes sur la corruption publiées sur sa chaîne YouTube Xalq Fikri (“L’Opinion du peuple”), et qui lui valaient des menaces de mort, le blogueur de la province de Sourkhan-Daria, à la frontière afghane, travaillait avant son arrestation le 30 janvier 2021 sur l’expulsion illégale d’agriculteurs. Schéma classique en Ouzbékistan, ceux-ci avaient vu leurs terres confisquées par un haut fonctionnaire local, aidé par la police, pour les transférer à une entreprise de l’homme d’affaires et sénateur Murtazo Rakhmatov, proche du président.
Otabek Sattoriy est d’abord accusé d’extorsion par le directeur d’un bazar local. Celui-ci avait pourtant lui-même proposé au blogueur de remplacer son téléphone portable endommagé par des employés du marché, qui l’avaient empêché de faire un reportage sur les prix des denrées alimentaires, contre lesquels il avait porté plainte. Peu après son arrestation, d’autres plaintes sont déposées contre Otabek Sattoriy par des personnes nommées dans ses vidéos sur la corruption.
Couverture interdite d’un procès inique
Privé du choix de son avocat, il n’a pas droit à un procès équitable. Deux journalistes qui tentent de couvrir son procès, qui se tient à huis clos, sont poursuivis, un autre est enlevé pendant plusieurs heures et menacé de représailles s’il continue de couvrir l’affaire. Le 11 mai 2021, Otabek Sattoriy est condamné à six ans et demi de prison pour “diffamation” et “extorsion”.
En détention, le blogueur subit des menaces et est privé de visites de sa famille, de colis de nourriture, de vêtements et de médicaments, alors qu’il souffre de maux de tête, de cystites, d’infections rénales, de fortes fièvres et de troubles convulsifs. Ce qui aggrave son asthme et ses allergies, précise un rapport des ONG Association droits de l’homme en Asie centrale (AHRCA) et International Partnership for Human Rights (IPHR).
Les journalistes indépendants réprimés
Comme l’a constaté le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, en novembre 2022, “la base de l'arrestation et de la détention ultérieure de M. Sattoriy était en fait l’exercice de sa liberté d'expression”. Le cas d’Otabek Sattoriy illustre la persécution des journalistes indépendants en Ouzbékistan. Sous la pression des autorités, six blogueurs de la province de Kachkadaria, au sud du pays, ont par exemple été contraints de cesser leur mission d’information l’an dernier. Cinq autres professionnels des médias, qui travaillaient dans la région du Karakalpakstan, sont actuellement en prison ou assignés à résidence. Une dernière, Lolagul Kallykhanova, s’est vue condamnée le 31 janvier 2023 à huit ans de prison avec sursis dont trois ans de "période d'essai", payant le fait d’avoir couvert à distance les manifestations réprimées dans le sang de juillet 2022 au Karakalpakstan.
Face à la persécution des autorités, les journalistes et blogueurs ne peuvent s’appuyer sur la législation, qui n’assure pas leur protection, voire permet leur répression. L’auto-censure reste largement répandue sur les sujets considérés comme sensibles par le pouvoir, telle la corruption à haut niveau. Malgré la rhétorique du président Mirziyoyev en faveur des médias, l’Ouzbékistan occupe la 148e place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024. Le pays, qui a dégringolé de 15 places en deux ans, a changé de catégorie, passant d’une situation “difficile” pour la liberté de la presse à “très grave”.