Nouvelle Constitution : La Tunisie ne doit pas perdre ses libertés chèrement conquises
Dévoilé le 30 juin et amendé le 8 juillet par le président tunisien Kaïs Saïed, le projet de Constitution sera soumis à un référendum populaire le 25 juillet prochain. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète notamment de la menace que fait peser ce texte sur la liberté de la presse et demande à ce que celle-ci soit garantie.
“La Tunisie est de nouveau sur le chemin du pouvoir personnel, a déclaré Khaled Drareni, représentant de RSF en Afrique du Nord. Cela va totalement à l’encontre des avancées obtenues par les Tunisiennes et les Tunisiens en matière de libertés individuelles depuis la révolution de janvier 2011. RSF demande à ce que les libertés fondamentales, y compris la liberté de la presse, soient clairement garanties, sans que cela puisse dépendre de la seule initiative présidentielle”.
À trois jours de la consultation référendaire, Reporters sans frontières renouvelle ses craintes quant à la trajectoire inquiétante que pourrait prendre la Tunisie à l’issue de ce vote voulu et imposé par le chef de l’État Kaïs Saïed.
Le 8 juillet dernier, le président tunisien avait proposé des amendements à la Constitution sans changer le fond de sa réforme. RSF avait alors réitéré son appel à garantir les libertés fondamentales y compris celle de la presse sans que cela ne dépende de la seule initiative présidentielle. Les deux articles modifiés évoquent la place de l'islam et les droits et libertés.
L’article 55, relatif aux droits et libertés a été amendé avec l'ajout de "requis par un régime démocratique", de ce fait le texte dispose : "Nulle restriction ne peut être apportée aux droits et aux libertés, garantis par la présente Constitution, qu'en vertu d'une loi et pour une nécessité requise par un régime démocratique et dans le but de protéger les droits d'autrui, ou pour les besoins de la sécurité publique, de la défense nationale ou de la santé publique."
La modification est donc minime par rapport à la mouture proposée initialement par le chef de l’État tunisien, et les restrictions aux libertés permises par l'article 55 risquent fort de devenir la règle en l’absence de garde-fous suffisants. La garantie dans cet article est vidée de son sens par les atteintes que le projet de constitution porte à la séparation des pouvoirs. Le texte prévoit en effet de doter le président de larges pouvoirs législatifs au détriment des contre-pouvoirs qui existaient jusque-là. L’affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire fait, en outre, craindre que son interprétation des restrictions serve des intérêts politiques sous couvert de prétendus impératifs sécuritaires.
Dévoilé le 30 juin par le président tunisien Kaïs Saïed, ce projet de nouvelle Constitution sera soumis à un référendum populaire le 25 juillet prochain, date de la proclamation de la République tunisienne. Si elle venait à être adoptée, la future Constitution mettrait en place un pouvoir hyper-présidentiel, s’inscrivant dans la continuité de la suspension puis de la dissolution du parlement le 30 mars dernier, et du Conseil supérieur de la magistrature deux mois plus tôt.
La publication du projet de révision de la Constitution tunisienne était très attendue en Tunisie et au-delà. Elle confirme les appréhensions exprimées par la société civile et par les journalistes. De fait, si le projet proclame la liberté de la presse et de l’information, il subsiste des doutes importants concernant certains articles qui pourraient mettre à mal la garantie effective des libertés, notamment d’expression et de la presse. L’Association tunisienne de défense des libertés individuelles a ainsi constaté que “malgré certaines reconnaissances de nouveaux droits et libertés, telle celle de la liberté de l’individu (article 26), le projet de constitution pose un grave problème quant aux limites aux droits et aux libertés”.
Outre les restrictions aux libertés de l’article 55, un autre motif d'inquiétude est l’indépendance de la régulation des médias : la suppression de la Haute Instance de l'audiovisuel (HAICA). L’HAICA avait pourtant pu contribuer grandement à la préservation de la liberté de l’information dans l’audiovisuel.
À la suite de la publication du projet de révision constitutionnelle, l’ancien doyen de la faculté de droit de Tunis, Sadok Belaïd, qui a pourtant présidé la commission chargée de rédiger le texte, a lui-même déclaré : “Le projet de Constitution de Saïed comporte de graves risques qui pourraient frayer la voie à un régime dictatorial”.
RSF avait déjà invité les autorités tunisiennes à faire du respect de la liberté de la presse une de leurs priorités. En septembre 2021, un message en ce sens avait été transmis après la nomination de Najla Bouden en tant que Première ministre. L’organisation avait demandé à la cheffe du gouvernement de mettre en œuvre les engagements de la Tunisie en matière de liberté, d’indépendance et de pluralisme du journalisme sur la base du chapitre 2 de la Constitution tunisienne et des engagements internationaux du pays.
Force est de constater, qu'aujourd’hui, ces engagements ne sont pas tenus, et que des reculs ont même été relevés par la corporation des journalistes elle-même, ce qui explique l’énorme bond en arrière opéré par la Tunisie en matière de liberté de la presse. Par son équivoque, le projet de constitution s’inscrit dans cette régression. Le contrôle opéré sur le parlement et divers appareils de l’État a contribué également à fragiliser les libertés en général, et la liberté de la presse en particulier.
De fait, les pressions politiques et judiciaires sur les journalistes se multiplient, et nombre d'entre eux ont eu récemment affaire aux services de sécurité et à la justice. Le 15 avril 2022, la journaliste Chahrazed Akacha a été placée en détention préventive suite à des posts sur Facebook, avant d’être remise en liberté le lendemain. Le même grief a été retenu contre son confrère, Salah Attia, le 12 juin dernier, qui a été placé en garde à vue par la justice militaire pour avoir déclaré à la chaîne Al Jazeera que “le président tunisien Kaïs Saïed [avait] demandé aux autorités militaires d’encercler le siège de l'Union générale tunisienne du travail, ce qui [avait] été rejeté par l'armée”.