"Nous espérons que le programme national pour les droits de l’Homme en Egypte sera autre chose qu’une plaisanterie de mauvais goût"
L’Egypte ayant annoncé le lancement d’un plan quinquennal pour les droits humains le 11 septembre dernier, RSF suggère au président Sissi de libérer les 28 journalistes actuellement en détention arbitraire dans le pays s’il veut faire la preuve de la sincérité des autorités à améliorer la situation.
La presse égyptienne en a fait ses gros titres. Le 11 septembre, le président Abdel Fattah Al-Sissi a annoncé le lancement d’une “stratégie nationale pour les droits de l’Homme”, un plan en cinq ans qui s’étalera de 2021 à 2026. L’objectif affiché est de “renforcer et de respecter davantage tous les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels”, selon le communiqué de la présidence.
Selon la version officielle, c’est donc un chef d’Etat métamorphosé, plein de bonnes résolutions, qui a pris la parole, convaincu qu’il existe “un lien étroit entre la démocratie et les droits humains”. A en croire le contenu de l’allocution présidentielle, l’Egypte s’engage désormais à “respecter et protéger le droit à l'intégrité physique, la liberté personnelle, la pratique politique, la liberté d'expression et de constitution d'associations civiles, ainsi que le droit de recours”. Abdel Fattah Al-Sissi promet que la stratégie s’articulera autour de plusieurs axes, dont celui d’inviter les organisations de la société civile à “manifester leur intérêt à enrichir l'expérience politique égyptienne”.
Il n’aura fallu que 48 heures pour que ces gages de bonne volonté soient compromis. Ce lundi, la famille et les avocats du blogueur Alaa Abdel Fattah, emprisonné depuis le 29 septembre 2019 pour “appartenance à un groupe terroriste”, “diffusion de fausses informations” et “usage abusif des réseaux sociaux” déploraient un nouveau prolongement de sa détention préventive, alors que son état de santé mentale est particulièrement préoccupant Ce dernier n’est pas un cas isolé. Comme lui, ils sont au moins 27 autres journalistes à être emprisonnés, l’écrasante majorité dans l’attente interminable d’être jugés. Quand les autorités en libèrent certains, comme Solafa Magdy en avril ou Esraa Abdel Fattah en juillet, c’est pour mieux en emprisonner d’autres. Derniers en date : Abdel Nasser Salama en juillet ou encore Rabie El-Sheikh en août.
“Nous nous réjouirions que les autorités égyptiennes aient adopté une vision à terme pour améliorer les droits de l’Homme si nous n’avions pas un scepticisme certain, déclare déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Nous espérons que le programme national pour les droits de l’Homme sera autre chose qu’une plaisanterie de mauvais goût. Nous invitons les autorités égyptiennes à concrétiser sans attendre leur engagement en libérant dès à présent l’ensemble des journalistes emprisonnés. Le cas échéant, nous valoriserons toute initiative constructive.”
Dans le passé, les discours officiels du président Abdel Fattah Al-Sissi concernant la liberté de la presse ont été démentis par sa politique réelle. En 2015, il affirmait à CNN que “personne en Egypte ne peut empêcher quelqu’un travaillant pour un média ou un journaliste d’exprimer ses opinions”. L’Egypte, sous sa mandature, est pourtant devenue l’une des plus grandes prisons pour journalistes.
En mai dernier, après une plainte déposée par RSF à l’ONU concernant dix journalistes emprisonnés, le groupe de travail saisi a confirmé le caractère arbitraire de leur détention. Sur dix journalistes derrière les barreaux, seule la moitié a été libérée. C’est notamment pour cette raison que le maréchal-président figure en bonne place dans la dernière édition de la galerie des prédateurs de la liberté de la presse de RSF.
L’Egypte occupe la 166e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.