Niloofar Hamedi : la journaliste emprisonnée pour avoir couvert la mort de Mahsa Amini en Iran
C’est l’une de ses photographies qui a confirmé au monde le décès de Mahsa Amini des suites de violences policières, le 16 septembre 2022 à Téhéran. Un an plus tard, en raison de cette publication, la journaliste Niloofar Hamedi est toujours derrière les barreaux de la prison d’Evin, détenue depuis le 22 septembre 2022 pour avoir couvert la mort de la jeune kurde.
Sur la photographie : un homme et une femme enlacés dans un couloir d'hôpital désert, visiblement en deuil. Lorsque la journaliste du quotidien Shargh Daily Niloofar Hamedi a publié ce portrait des parents de Mahsa Amini sur la plateforme X le 16 septembre 2022, le nom de cette jeune kurde circulait déjà depuis quelques heures. Dans les chuchotements des conversations privées et en ligne, se racontait l'histoire d’une femme brutalisée le 13 septembre par la police des mœurs pour avoir mal porté son hijab. Avec sa photo, Niloofar Hamedi a été l'une des premières à confirmer sa mort.
La journaliste de 31 ans était chez elle ce vendredi matin 16 septembre, lorsque sa collègue de Shargh Daily l’a appelée. Des sources à l'hôpital de Kasra de Téhéran ont aperçu une jeune fille aux urgences. Il semblerait qu'il s'agisse de Mahsa Amini, et que cette jeune victime de violences policières serait dans le coma.
Niloofar Hamedi se rend à l'hôpital. Elle rencontre les parents de la victime quelques minutes seulement après la confirmation du décès de Mahsa Amini, à l’âge de 22 ans. La journaliste publie dans la foulée la photographie d’une famille dans la douleur. Elle sait qu’elle dévoile une information que les autorités veulent dissimuler, comme en témoigne la forte présence de forces de sécurité autour de l’hôpital, et les consignes fermes de ne rien diffuser sur l’affaire dans la presse. "L'engagement de Niloofar à exposer la vérité, à travers l'objectif de son appareil photo et ses mots, est une lueur d'espoir" rappelle à Reporters sans frontières (RSF) une de ses anciennes collègues qui souhaite conserver l’anonymat.
Moins d’une semaine plus tard, le 22 septembre, des forces de sécurité arrêtent la journaliste à son domicile. Son compte X est suspendu. Elle est accusée de “complot et rébellion contre la sécurité nationale” et de “propagande contre l’État”. Près d’un an plus tard, Niloofar Hamedi est toujours incarcérée à la prison d’Evin. Elle est en attente du verdict des tribunaux iraniens, à la suite d’un procès qui a débuté le 30 mars 2023, après 6 mois en détention provisoire.
“Le courage et l'engagement de Niloofar Hamedi doivent être récompensés, et non punis. Son emprisonnement pendant près d'un an illustre la terrible répression exercée par la République islamique à l'égard des journalistes, et leur rejet de la liberté de la presse et de toute information fiable. Nous demandons qu'elle et ses collègues journalistes détenus soient libérés sans condition.
Faire entendre la voix des femmes et les violences à leur encontre
Journaliste spécialisée sur les droits des femmes, Niloofar Hamedi est reconnue pour aborder des sujets que peu de journalistes osent traiter. En juin 2022, elle publie, sur Shargh Daily, un reportage sur un incident similaire à celui qui a conduit à la mort de Mahsa Amini : la police des mœurs de Téhéran a blessé par balle un homme dans un parc, après avoir appréhendé sa femme qui, selon eux, ne portait pas correctement son hijab. Là encore, Niloofar Hamedi révéle au monde entier une réalité que les autorités s'efforcent d'étouffer. Elle contacte les victimes à plusieurs reprises, les convainc de parler. C’est aussi elle qui a couvert l’immolation de plusieurs femmes en septembre 2022 pour échapper à des violences domestiques, et rapporté en juillet 2022 l’assassinat d’une jeune femme mineure par son mari. Le fil rouge de son travail : faire entendre la voix des femmes réduites au silence. "Niloofar Hamedi est une journaliste modeste, elle n’est pas motivée par la célébrité, ni par l'argent. Elle tient à révéler la vérité, et c'est tout", résume une de ses proches, qui souhaite elle aussi conserver l’anonymat par mesure de sécurité.
Le sport et l’écriture
Née à Babol, au nord de Téhéran, le 22 octobre 1992, Niloofar Hamedi a grandi avec le sport et l’écriture comme passions. Lorsqu'elle est acceptée dans le programme d'éducation physique de l'Université de Téhéran en 2012, Niloofar se consacre au journalisme sportif. C'est ainsi qu’en tant que journaliste, elle réalise un de ses rêves, malgré l’interdiction d’entrée dans les stades pour les femmes : assister à un match de football. Depuis lors, elle se bat pour que toutes les femmes aient le droit de fréquenter les enceintes de compétition sportive. La transition vers un journalisme qui informe sur les droits des femmes était évidente.
Elle devient correspondante du quotidien réformiste Etemad, puis du quotidien Shargh Daily à partir de 2020. “Elle a toujours affirmé que les journalistes ont la responsabilité de protéger leur profession” raconte une de ses supérieures à RSF.
Le travail de Niloofar est depuis ces années-là reconnu à l'échelle internationale. Avec deux autres collègues, elles aussi aujourd’hui derrière les barreaux, Elaheh Mohammadi et Narges Mohammadi, elle remporte le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano en 2023. La même année, le journal américain Time Magazine la classe parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde, tout comme Elaheh Mohammadi.
“Je veux être journaliste pour toujours”
Niloofar risque une lourde condamnation qui, selon les précédents, pourrait atteindre la peine de mort. Pourtant, son mari et fidèle défenseur, le journaliste Mohammad Hossein Ajorlou, parle souvent sur son compte X de la détermination et de la bonne humeur à toutes épreuves de sa femme. Fervente athlète, elle pratique dans sa cellule le yoga, participe à des séances de volley-ball et excelle dans les compétitions de ping-pong au sein de la prison. "Endurer l’emprisonnement, c'est comme s'entraîner pour un marathon, a-t-elle expliqué à son mari. Souffrir chaque jour, persister sur le long terme, et peu importe à quel point vous vous entraînez, ce n'est pas suffisant. Imaginer le sentiment de bonheur lorsqu'on atteint la ligne d'arrivée compense la douleur."
En septembre 2022, quelques jours avant son arrestation, Niloofar et Mohammad ont voyagé à Qazvin, à l’ouest de la capitale. Elle s’était alors confiée à son mari sur la satisfaction qu'elle avait ressentie en faisant la lumière sur l’affaire Mahsa Amini. "Je crois, lui a-t-elle dit, que je veux être journaliste pour toujours”.
Niloofar Hamedi est l'une des 30 femmes journalistes arrêtées, interrogées ou emprisonnées en Iran depuis le 16 septembre 2022 , pour leur couverture de la mort de Mahsa Amini et du mouvement "Femme, vie, liberté". Plus de 80 journalistes ont été détenus depuis lors.