Monténégro : RSF et plusieurs organisations de défense de liberté de la presse condamnent le harcèlement judiciaire contre Jovo Martinović
À la suite de la confirmation du verdict condamnant le journaliste monténégrin Jovo Martinović à un an de prison malgré le manque de preuves, douze organisations de défense de la liberté de la presse et de journalistes appellent le Monténégro à renforcer l’indépendance de son système judiciaire avant d’envisager de rejoindre l’Union européenne.
Le 30 mars 2021
RSF et les principales organisations de défense de la liberté de la presse et de journalistes, dont le réseau Media Freedom Rapid Response (MFRR), condamnent fermement la décision de la Cour d’appel du Monténégro de rejeter le recours du journaliste Jovo Martinović et de confirmer le verdict en première instance de la Haute Cour de Podgorica, qui l’a condamné à 12 mois de prison. Même s’il ne retournera pas en prison en raison du temps qu’il a déjà passé derrière les barreaux, Jovo Martinović aura désormais un casier judiciaire, et ce uniquement à cause de son métier. Les organisations soussignées condamnent le verdict et regrettent que la Cour d’appel n’ait pas saisi l’occasion d’acquitter ce journaliste internationalement primé et d’envoyer un message de soutien au journalisme d’investigation au Monténégro.
Jovo Martinović a été condamné pour avoir violé le Code pénal monténégrin relatif à la création d’une organisation criminelle, ainsi que pour production, possession et distribution illicite de narcotiques. S’il a effectivement organisé une réunion avec des accusés pour filmer un trafic d’armes à destination de la France, c’était à des fins journalistiques. Selon nous, lors de sa détention et du procès qui a suivi, ses droits à un jugement équitable ont été bafoués. Avant son arrestation, le 22 octobre 2015, le journaliste avait déjà été détenu pendant au moins 15 mois avant d’être remis en liberté provisoire.
Lors d’un nouveau procès ayant débuté le 20 décembre 2019, la Haute Cour du Monténégro a condamné Jovo Martinović, le 8 octobre 2020, à un an de prison pour implication dans un trafic de drogue – et l’a acquitté des charges relatives à l’appartenance à un groupe criminel. Lundi 29 mars, alors que son appel était rejeté, un recours de l’Etat demandant que ces accusations soient réitérées a également été rejeté – une maigre consolation pour Jovo Martinović ou d’autres journalistes d’investigation, qui sont en droit d’interpréter ce harcèlement judiciaire comme une tentative de dissuader ou de geler les enquêtes sur la corruption et le crime organisé au Monténégro. Or le journalisme d’investigation n’est pas un crime et ne doit pas être traité comme tel par les autorités monténégrines.
En 2019, la Cour d’appel a renvoyé l’affaire Jovo Martinović en demandant un nouveau procès, précisément à cause du manque de preuves contre le journaliste. Les organisations soussignées soulignent l’absence perpétuelle de preuves susceptibles de justifier une condamnation, ce qui met au jour une faille fondamentale dans le verdict du 29 mars. Si Jovo Martinović échappe à la détention, ce harcèlement judiciaire que motivent des préoccupations d’ordre politique constitue une attaque contre le journalisme d’investigation et une condamnation accablante de la liberté de la presse au Monténégro.
Un tel niveau d’acharnement judiciaire contre un journaliste d’investigation trouve peu de précédents dans les Balkans et, plus largement, en Europe. Il témoigne d’un grave manquement des règles de l’Etat de droit, alors même que le Monténégro cherche à rejoindre l’Union européenne. Dans un rapport de 2020, la Commission européenne a noté que bien qu’il existe des garanties légales pour protéger l’indépendance judiciaire, le système reste « vulnérable aux influences politiques ». Afin d’assurer que cette situation ne perdure pas et pour instaurer la confiance dans l’institution judiciaire, ces garanties doivent être renforcées en toute priorité.
Les organisations soussignées condamnent le verdict de la Cour d’appel et expriment leur solidarité avec Jovo Martinović et tous les journalistes d’investigation au Monténégro. Nous appelons les autorités et les tribunaux du pays à travailler dans le respect de leur engagement envers la liberté de la presse et les normes européennes, qui entre dans celui requis pour le processus d’intégration dans l’Union européenne, en garantissant que Jovo Martinović ne sera plus poursuivi pénalement ou harcelé pour l’exercice de son métier.
Signataires :
ARTICLE 19
Centre pour le journalisme d’investigation au Monténégro (CIN-CG)
Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF)
Fédération européenne des journalistes (EFJ)
Free Press Unlimited
Fédération internationale des journalistes (IFJ)
International Freedom of Expression Exchange (IFEX)
International Press Institute (IPI)
OBC Transeuropa
Reporters sans frontières (RSF)
L’Organisation des médias de l’Europe du Sud-Est (SEEMO)
Syndicat des médias du Monténégro