Mexique : l’avenir du Mécanisme de protection des journalistes compromis
Alors que le Mexique reste l’un des pays les plus meurtrier au monde pour les journalistes, la disparition de structures dédiées à leur protection pourrait mettre nombre d’entre-eux en danger.
Confronté à d’importantes difficultés économiques et lourdement impacté par la pandémie de la Covid19, le gouvernement mexicain a entrepris, en cette fin d’année 2020, d’importantes coupes budgétaires, pour notamment concentrer ses efforts financiers sur la lutte contre le coronavirus. Dans ce contexte, la Chambre des députés, le 8 octobre dernier, puis le Sénat, 12 jours plus tard, ont voté en faveur de la suppression de 109 “Fideicomisos” (“fiducies’), des instruments juridiques créées par l’Etat pour affecter et répartir les ressources financières publiques destinées à des activités non lucratives (cinéma indépendant, sport etc.). Parmi ceux-ci, le “Fideicomiso” chargé d’administrer les fonds disponibles pour les bénéficiaires du Mécanisme fédéral de protection des journalistes et des défenseurs des droits humains, créée en 2012 et rattaché au ministère de l’Intérieur (Secretaría de Gobernacion-Segob).
Ce vote et cette décision irréversible du Parlement, malgré les innombrables avertissements de de la société civile- RSF avait notamment alerté la Chambre des députés le 8 juin dernier- ont généré beaucoup d’inquiétudes sur l’avenir du Mécanisme de protection. La direction du Mécanisme, dans un communiqué publié le 28 septembre, pointait notamment “la perte de flexibilité dans l’adoption (ndlr: de mesures urgentes de protection pour les journalistes en danger) et la mise en place de mesures urgentes” qu’engendrerait la disparition du Fideicomiso. RSF a recueilli ces derniers jours de nombreux témoignages inquiets de bénéficiaires du Mécanisme, et notamment de familles de journalistes victimes de déplacements forcé réfugiées dans la capitale Mexico, qui sont désormais dans l'incertitude totale quant à leur avenir.
La disparition de ce “Fideicomiso” va alourdir et complexifier les démarches administratives pour solliciter, puis mettre en place, les mesures de protection, générant une charge bureaucratique pouvant potentiellement mettre en danger la vie et la sécurité des postulants. Elle fait également craindre une plus grande opacité quant à l’utilisation des fonds alloués au Mécanisme.
“Le président Lopez Obrador et le ministère de l’Intérieur doivent au plus vite communiquer sur la façon dont les prérogatives de ce “Fideicomiso” seront remplacées et garantir que les ressources destinées au Mécanisme seront maintenues et gérées en toute transparence, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine pour RSF. Le Mexique demeure un des pays les plus dangereux du monde pour les journalistes. Il est inconcevable que le Mécanisme puisse être fragilisé et que ses bénéficiaires soient mis en danger par ce vote. Les autorités mexicaines doivent créer dans les meilleurs délais un nouveau système transparent et efficace permettant au Mécanisme d’assurer son mandat sereinement et dans la durée.”
Le Mécanisme compte actuellement 1304 bénéficiaire, dont 418 journalistes (111 femmes et 307 hommes) et 886 défenseurs des droits humains (471 femmes et 415 hommes).
En novembre dernier, lors de la visite au Mexique d’une coalition internationale dont RSF fait partie, le sous-secrétaire aux droits de l'Homme, Alejandro Encinas s’était engagé à mettre progressivement en place les 104 recommandations émises en juillet 2019 par le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) de l’ONU à Mexico pour améliorer le fonctionnement du Mécanisme. Parmi elles, la nécessité que l’Etat garantisse et augmente les ressources humaines et matérielles nécessaires au bon fonctionnement du Mécanisme. Aucune décision concrète n’a depuis été prise par les autorités mexicaines.
Depuis le début du mandat du président Lopez Obrador le 1er décembre 2018, au moins 15 journalistes ont été assassinés en lien direct avec leur travail d’information. Pour la seule année 2020, cinq journalistes ont été assassinés, faisant du Mexique le pays second pays les plus dangereux du monde pour la presse, derrière l’Irak (6 cas).
Le Mexique se situe au 143e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 publié par RSF.