Manifestations en Irak : l’Etat, acteur à part entière des entraves faites aux journalistes
La Commission irakienne de l’information et des communications a décidé de suspendre neuf médias irakiens pour trois mois et a émis un avertissement contre cinq autres. Reporters sans frontières (RSF) condamne cette décision et tient l'Etat irakien pour responsable des limitations croissantes du travail des journalistes.
La répression contre les médias a pris un tournant avec la publication d’un communiqué officiel le 21 novembre 2019 par la Commission irakienne de l’information et des communications, organe chargé de réguler les médias.
Neuf chaînes de télévision ont été suspendues pour trois mois pour “violations des règles de diffusion” et “incitation à la haine et transmission depuis des pays tiers”. Cette décision a été effective dès la publication du communiqué et concerne la chaîne saoudienne Al-Arabiya/Al-Hadath, la chaîne kurde irakienne NRT TV, la chaîne assyrienne basée en Californie ANB TV, Dijlah TV qui est basée à Amman, ainsi que les chaînes locales Al-Sharqiya TV, Al-Fallujah TV, Al-Rasheed, et Hona Baghdad. Quatre stations radio locales ont également été définitivement fermées : Radio Al-Nass, Radio Sawa, Radio Al-Yawm, Radio Nawa. Ces blocages s’ajoutent à celui de la chaîne Al-Hurra, déjà suspendue en septembre.
La commission a également lancé un avertissement à l’encontre de trois autres chaînes locales : Asia TV, Alsumaria TV et Ur TV, ainsi que la chaîne Sky News Arabic basée aux Emirats Arabes Unis et la chaîne kurde irakienne Rudaw TV. Le communiqué prévient que le Premier ministre sera tenu informé de “la liste des chaînes” qui inciteraient à la haine ou transmettraient leurs programmes depuis l’étranger.
“Ces interdictions officielles viennent confirmer la responsabilité directe de l'Etat irakien dans les atteintes au droit d'informer, réagit Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF). Non seulement, les autorités irakiennes ont failli à leur devoir de protection des journalistes menacés - par faiblesse ou par négligence-, mais en plus, elles interdisent purement et simplement les médias dont la couverture des manifestations n’est pas à leur goût.”
Quelques jours après la décision de la commission, des hommes arborant des insignes de la brigade anti-terroriste ont fait irruption dans les bureaux de Dijlah TV à Bagdad pour procéder à sa fermeture effective. La présidence irakienne nie cependant avoir donné l’ordre à l’origine de cette fermeture forcée et affirme avoir arrêté des suspects.
Ce mardi 26 novembre, des journalistes de la même chaîne ont été battus par la police anti-émeute alors qu’ils couvraient les manifestations. Dans la région d’Al-Muthanna (sud de l’Irak), le correspondant Mustafa Al-Rikabi a été grièvement blessé à la tête. Dans la province de Nadjaf (160 km au sud de Bagdad), Alaa Al-Shammari et son caméraman Taher Salem, ont également été battus et leur matériel confisqué.
Bien avant la publication du communiqué de la Commission irakienne de l’information et des communications, Al-Arabiya avait rapporté les interdictions sur le terrain faites à ses équipes par les forces de l'ordre de tourner pendant les manifestations. Le ministère de l’Intérieur a par ailleurs interdit la transmission en direct des couvertures des manifestations partout dans le pays depuis fin octobre. L’accès à Internet est également restreint.
L’Irak occupe la 156e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.