Les plateformes ne doivent pas devenir les jouets des grandes fortunes
Après avoir vu certains de ses propos retirés d’Instagram et Twitter, le rappeur et homme d'affaires Kanye West, qui se fait désormais appeler Ye, a fait part de son projet de détenir son propre réseau social, comme Elon Musk ou Donald Trump. Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de l’émergence de ces nouveaux magnats des réseaux sociaux, et rappelle que les plateformes ne devraient jamais être inféodées aux desideratas des divas du web.
“Hier, les plus grandes fortunes du monde achetaient des médias, aujourd’hui elles veulent faire main basse sur les réseaux sociaux, s’inquiète le responsable du bureau technologies de RSF, Vincent Berthier. Pourquoi posséder ces plateformes ? Il est à craindre que ce ne soit pas par sens de l’intérêt général, pour favoriser l’accès à une information libre, fiable et pluraliste. Ces velléités de rachat soulèvent de nombreuses questions. Disposer d’une fortune ne devrait pas autoriser à influencer la distribution des contenus. Va-t-on laisser une nouvelle génération de richissimes hommes d'affaires planter son drapeau sur Internet sans réagir ?”
Ye, anciennement Kanye West, veut à son tour s’accaparer un réseau social. Le rappeur a jeté son dévolu sur Parler, petite plateforme aux 20 millions d’utilisateurs revendiqués, plébiscitée par des communautés conservatrices. L’ancien candidat indépendant à l’élection présidentielle américaine de 2020, où il avait réalisé un score plus que marginal, veut défendre la liberté d’expression des “opinions conservatrices” à l’inverse, selon lui, de Mark Zuckerberg et son “‘programme de gauche”.
Les paroles de Ye ne sont pas sans rappeler certaines prises de position de deux autres hommes d'affaires. L’ancien président des États-Unis Donald Trump et l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, se sont tous deux lancés à l’assaut de l’Internet social en motivant, du moins en partie, leur soif de conquête par des motifs politiques.
Donald Trump a lancé en février 2022 sa propre plateforme, Truth Social, un réseau social dont les discours de lancement laissaient dangereusement entendre qu’il se ferait la caisse de résonance de l’idéologie de l’ancien président des États-Unis. Elon Musk, plus subtil, en comparaison, que Ye et Donald Trump, a considéré que Twitter, dont il devrait bientôt se rendre maître et possesseur, avait un problème de “biais de gauche”.
Cette tendance pourrait constituer une menace pour les démocraties et le pluralisme de l’information.
Il n’existe à l‘heure actuelle aucun moyen pour s’assurer que ces nouveaux magnats n’utilisent leurs acquisitions pour façonner l’opinion des millions de citoyens qui sollicitent leurs réseaux sociaux. Or, ce sont leurs intérêts qui doivent primer, plutôt que les objectifs économiques ou politiques des dirigeants de ces entreprises.
Les plateformes de communication, et particulièrement les réseaux sociaux, façonnent le débat public. C’est pour cette raison qu’elles doivent être astreintes à la neutralité politique, idéologique et religieuse, quand bien même seraient-elles des propriété privées. L’arbitraire et l’opportunisme politique ne peuvent y être tolérés, au risque de soumettre leurs utilisateurs - terme bien trop employé pour désigner ceux qui sont en réalité des citoyens - à un battage informationnel qu’on imagine, sans peine, partisan.
Si Ye s’intéresse à la modération des comptes et à leurs conséquences sur la pluralité des opinions, RSF lui recommande la lecture du dernier rapport du Forum sur l’information et la démocratie, Régimes de responsabilité des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs. Il y trouvera une série de recommandations permettant d’harmoniser les politiques de modération sur les plateformes, quelle que soit leur taille, permettant tout à la fois de protéger la liberté d’expression et l’accès à l’information.
Contactés par RSF, ni la plateforme Parler ni Ye n’ont pour l’instant répondu aux questions de l’organisation.