Les militaires américains basés à Okinawa surveillent des journalistes
Reporter sans frontières (RSF) demande des explications aux responsables militaires américains basés à Okinawa ainsi qu’au gouvernement japonais après les révélations du journaliste britannique Jon Mitchell, qui a publié des documents officiels obtenus grâce à la loi américaine d’accès à l’information (Freedom of Information Act). Ces documents font état d’une surveillance de citoyens japonais, d’ONG et de journalistes.
Le journaliste Jon Mitchell a révélé avoir obtenu, en vertu de la loi sur la liberté de
l’information, 305 pages de “bulletins” internes compilés par la Division des enquêtes criminelles du corps des Marines des
Etats-Unis (USMC), et de courriels émanant du bureau du chef de la police militaire, entre mai et juillet 2016. Dans l’un des
bulletins, daté du 9 juin, se trouve la description d’une conférence publique dans laquelle Jon Mitchell intervient sur la
pollution environnementale causée par les militaires. Cette description est accompagnée d’une photographie et d’un profil
sommaire du journaliste. L’un des courriels échangés par les militaires décrit le journaliste comme “ antagoniste”
et affirme que “le ton de ses reportages est hostile. La coopération avec ce reporter n’a pas été possible. Il a un agenda et le dit assez ouvertement”.
Les deux quotidiens de l’île, Okinawa Times et Ryukyu Shimpo, sont également mentionnés dans les bulletins de l’USMC.
D’après Jon Mitchell, la surveillance dont il fait l’objet est le résultat de ses activités journalistiques, notamment de sa couverture des activités militaires sur l'île d’Okinawa et de ses révélations sur la pollution environnementale causée par la présence de l’armée américaine et sa gestion d’armes chimiques sur l'île durant la guerre froide. Sa couverture des mouvements pacifistes et des manifestations locales contre la présence militaire américaine et la politique du gouvernement japonais accentuent également, selon lui, le fait qu’il puisse faire l’objet d’une surveillance.
“Les documents obtenus par le journaliste nous inquiètent au plus haut point car ils semblent indiquer de manière assez évidente que l’armée américaine traque les moindres faits et gestes d’un journaliste britanniques sur le territoire japonais en raison de son travail , déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. A la lumière de ces documents, nous attendons de l’armée américaine qu’elle s’explique sur cette mise sous surveillance. Le gouvernement japonais doit également clarifier son implication dans les activités conduites par les militaires sur son territoire, il en va de sa responsabilité de garantir la liberté de la presse sur son territoire.”
RSF a cherché à joindre le corps des Marines des États-Unis à Okinawa et attend que ces derniers s’expliquent sur leurs pratiques. Contacté par Jon Mitchell, le Pentagone n'a pas voulu confirmer sa connaissance de l'étendue de la surveillance ou à quel niveau elle avait été autorisée.
Des tests conduits par Reporters sans frontières ont également permis de déterminer que l’adresse IP du journaliste à son domicile était la cible d’un blocage. Le journaliste ne peut accéder à plusieurs sites web de l’armée américaine, dont celui de la base de Kadena, à Okinawa : www.kadena.af.mil .
La liberté de la presse menacée à Okinawa
Jon Mitchell n’est pas le seul journaliste inquiété pour sa couverture des manifestations qui se tiennent dans la préfecture
d’Okinawa. En août dernier, la police anti-émeute a détenu des journalistes du Okinawa Times et du Ryukyu Shimpo alors qu’ils couvraient une manifestation contre le projet d”hélipad militaire américain dans le nord de la préfecture. Les journalistes avaient été éloignés des manifestations alors qu’ils s’étaient identifiés auprès des policiers. Les deux médias et des syndicats de la presse avaient alors dénoncé cette “violation sérieuse de la liberté de la presse par l’Etat”. Le Cabinet de Shinzo Abe avait par la suite soutenu les actions de la police, établissant un dangereux précédent pour les journalistesamenés à couvrir de telles manifestations dans le futur. L’année dernière, des membres du Parti libéral démocrate au pouvoir avaient demandé que des pressions financières soient exercées sur les médias critiques du gouvernement tels que les deux principaux quotidiens okinawaïens tandis qu’un ancien administrateur de NHK avait recommandé leur démantèlement.
En avril dernier, à l'occasion de la visite au Japon du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, David Kaye, RSF avait dressé un état des lieux inquiétant de la liberté de la presse et de l'information dans l'archipel japonais. La situation du Japon, au 72ème rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse en 2016 , s'est considérablement dégradée depuis le retour au pouvoir de Shinzo Abe en décembre 2012. Le pays est à son pire rang depuis la création de l’index, en 2002.