L'adoption formelle de la nouvelle Constitution, le 24 novembre 2007 à Sucre, a été suivie de plusieurs jours d'émeutes au cours desquels la presse a payé un lourd tribut. Reporters sans frontières se félicite de l'amorce de dialogue engagé, le 27 novembre, entre le gouvernement et certains secteurs de la presse. Cet effort doit se poursuivre et s'amplifier.
Reporters sans frontières condamne les violences envers les médias constatées à Sucre (Sud), et à La Paz (Ouest), lors des émeutes qui ont suivi l'approbation formelle de la nouvelle Constitution, le 24 novembre 2007. L'organisation salue les efforts de dialogue engagés avec la presse par le gouvernement et les appels à la responsabilité de certaines organisations professionnelles. Ce dialogue doit s'élargir à l'ensemble de la classe politique, proche du pouvoir comme de l'opposition. Les garanties de sécurité nécessaires au travail des journalistes doivent être respectées par tous.
“Le processus constitutionnel en Bolivie doit être l'occasion d'un véritable débat de société, que toute la presse, dans sa pluralité, doit animer et relayer. Une fois encore, les médias, qu'ils soient réputés proches du gouvernement ou de l'opposition, auront été les cibles de violences partisanes. Nous nous félicitons du dialogue amorcé, le 27 novembre, entre certains secteurs de la presse et le gouvernement. Ce dialogue doit s'élargir à l'ensemble de la classe politique, les groupes d'opposition ne ménagant pas plus la presse que les militants progouvernementaux. Nous espérons que les violences contre les journalistes d'où qu'elles viennent, y compris celles commises par les forces de l'ordre, feront l'objet d'enquêtes et donneront lieu aux condamnations pénales qu'elles méritent. Sans attendre l'adoption ultime de la nouvelle Constitution, la garantie de l'État de droit passe déjà par ces mesures concrètes”, a déclaré Reporters sans forntières.
Le 27 novembre 2007, le porte-parole de la présidence de la République, Alex Contreras, s'est réuni avec des représentants de la presse, dont Marcelo Arce, dirigeant de la Fédération des travailleurs de presse de La Paz. Ce dernier a fait valoir que le gouvernement avait posé des garanties “pour que les journalistes et les médias continuent d'exercer leur métier, qui est d'informer, en toute sécurité”. De son côté, l'Association nationale de la presse, qui regroupe les propriétaires des médias, a appelé, le 28 novembre, à la “pacification du pays” et à l'”approbation consensuelle de la nouvelle Constitution”. Ces signaux positifs interviennent après une semaine d'affrontements entre partisans et opposants à la nouvelle Constitution voulue par le président Evo Morales. Le texte a été approuvé dans la soirée du 24 novembre par les 147 députés du Mouvement vers le socialisme (MAS, au pouvoir) sur les 255 membres de la Constituante, l'opposition ayant refusé de siéger. La presse a payé un lourd tribut aux émeutes qui ont suivi.
A Sucre, siège de l'Assemblée constituante, le 25 novembre, Pablo Ortiz et le photographe Ricardo Montero, du quotidien El Deber, Adriana Gutiérrez et le cameraman Pablo Tudela, de la chaîne de télévision privée PAT, ainsi que le photographe Aizar Raldes, de l'Agence France-Presse, ont été agressés par les forces de l'ordre pendant des affrontements opposant, la police et des militants d'organisations indigènes à des étudiants et des habitants de Sucre hostiles à la nouvelle Constitution. “Ils (les policiers) m'ont donné des coups de pied à l'estomac, dans les côtes et à la tête, mais les masques anti-gaz nous ont sauvés”, a témoigné Aizar Raldes, qui a précisé que ses collègues et lui-même avaient dû trouver refuge dans une maison. Le ministre de la Présidence, Juan Ramón Quintana, a annoncé l'ouverture d'une enquête. Par ailleurs, une brusque coupure d'électricité à La Paz a alimenté des soupçons de sabotage contre la radio publique Red Patria Nueva, qui retransmettait les débats de la Constituante depuis Sucre.
Le même jour, toujours à Sucre, la radio éducative catholique ACLO, dont les émissions sont diffusées en langue quechua et en partie produites par les communautés indigènes locales, a été contrainte de suspendre ses programmes suite aux menaces proférées par des étudiants radicaux d'opposition, dont certains membres de la Unión Juvenil Cruceñista, à l'origine de plusieurs agressions et de saccages contre des médias publics. Les journalistes d'ACLO Grover Alejandro Pilco, Franz García et Johnnatan Condori ont décidé de quitter la ville. Le vice-président du Comité civique de la région de Chuquisaca, José Luis Gantier, a publiquement accusé la station de soutenir les paysans et les populations indigènes réputées partisanes du gouvernement, le président Evo Morales faisant lui-même l'objet d'attaques racistes en raison de ses ascendances quechua et aymara.
Les chaînes de télévision privées ATB, propriété du groupe espagnol de presse Prisa, PAT et Unitel, appartenant à des entrepreneurs de Santa Cruz, et les stations Radio Fides et Radio Panamericana, ont été prises d'assaut, dans la nuit du 26 novembre à La Paz, par des manifestants progouvernementaux après un meeting du président Evo Morales en faveur de la réforme constitutionnelle. Le vice-ministre des Mouvements sociaux, Sacha Llorenti, a tenté de dissuader les émeutiers. “Nous condamnons les attaques contre les médias et nous réaffirmons notre respect de la liberté de la presse”, a déclaré le vice-ministre, tout en regrettant que certains médias adoptent une ligne éditoriale qui tente “d'affaiblir le processus lancé par le gouvernement”. Le président Evo Morales a reproché, le 24 novembre, aux propriétaires des médias de faire pression sur leurs journalistes pour discréditer l'Assemblée constituante.
Des dizaines de journalistes ont manifesté le 27 novembre dans les rues de Sucre, pour protester contre les agressions de la part de la police et de groupes militants. Le même jour, à Sucre, des coups de feu ont été tirés contre la chaîne Canal 13, issue de l'Université d'État Saint François-Xavier. Enfin, Reporters sans frontières a appris avec tristesse le décès accidentel de Lola Almodóvar, de la BBC, lors d'une collision sur la route entre La Paz et Sucre. Son collègue de Reuters, Eduardo García, a été blessé dans l'accident.
Les incidents de la semaine se sont soldés par la mort de quatre personnes, trois civils et un policier, et des centaines de blessés. Majorité et opposition continuent de se déchirer quant aux modalités d'adoption - majorité simple ou des deux-tiers - de la Loi fondamentale, qui sera examinée article par article avant d'être soumise à référendum. Le mandat de l'Assemblée constituante expire officiellement le 14 décembre.