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L’attentat qui a fait 32 morts et plus de 100 blessés à Suruç, le 20 juillet 2015, a ouvert une période d’extrême tension en Turquie et à ses frontières. Jugeant les autorités complices du groupe État islamique (EI), le PKK a ciblé des policiers et soldats turcs, ce à quoi Ankara a répondu par des bombardements visant à la fois l’EI en Syrie et le PKK en Irak. Alors que le processus de paix engagé fin 2012 entre le gouvernement et la rébellion kurde est plus que jamais dans l’impasse, des échauffourées ont éclaté à travers le pays entre les forces de l’ordre et divers groupes d’opposition. Au nom de la “lutte contre le terrorisme”, les autorités ont arrêté des centaines de militants, visant essentiellement les milieux pro-kurdes. Les acteurs de l’information paient un lourd tribut à la dégradation du climat politique.
Censure massive
Le 25 juillet, peu après le début des bombardements, la Haute instance de la Télécommunication (TIB) d’Ankara a ordonné le blocage
d’une centaine de sites d’information. Conformément aux récents amendements de la législation sur Internet, ces décisions ont été validées a posteriori par la justice. D’après
la liste établie par le site spécialisé Engelli Web, au moins 65 des sites visés sont des portails pro-kurdes, dont ceux du journal Özgür Gündem, des agences de presse
DIHA,
ANHA et
ANF, des chaînes de télévision
Rojnews et
BestaNûçe, mais aussi de titres locaux comme
Yüksekova Haber ou
Cizre Haber. Le site d’information
Rudaw, proche du parti au pouvoir au Kurdistan irakien, et des sources d’information de gauche comme
Sendika.org ou l’agence
ETHA, ont également été bloqués.
23 comptes Twitter ont été rendus inaccessibles dans le pays depuis la même date. Le 22 juillet, l’intégralité de la plate-forme avait déjà été bloquée quelques heures suite à l’interdiction des images de l’attentat de Suruç par un tribunal de police local.
Le 27 juillet, des dizaines de journalistes ont porté plainte contre le vice-premier ministre Bülent Arinç, qui avait accusé trois jours plus tôt les quotidiens
Evrensel et
Özgür Gündem d’être “des machines criminelles”. Le représentant de RSF en Turquie,
Erol Önderoglu, s’est associé à cette démarche.
Le même jour, le premier ministre Ahmet Davutoglu a invité les directeurs des principales rédactions turques à un briefing sur la couverture des “opérations antiterroristes” en cours. L’occasion pour l’exécutif de rappeler les principales lignes rouges,
comme il l’avait fait en 2011 au plus fort des combats contre le PKK. Les titres proches du mouvement socio-religieux de Fethullah Gülen,
Zaman,
Taraf et
Bugün, ainsi que le quotidien de gauche
Birgün, n’étaient pas invités.
“Censure massive des titres kurdes, volonté de contrôle des médias : face aux difficultés, les autorités semblent céder à leurs vieux réflexes, déplore Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF.
Mais loin de calmer le jeu, cette spirale répressive ne peut qu’accentuer les frustrations et contribuer à attiser les tensions. Le retour au processus de paix et la poursuite des réformes démocratiques, y compris en faveur de la liberté de l’information, font partie intégrante de la solution aux défis sécuritaires régionaux.”
“Le recul du tabou sur la question kurde était l’un des seuls points positifs au bilan démocratique d’un Recep Tayyip Erdogan en pleine dérive autoritaire, ajoute Johann Bihr. Pour la société turque comme au regard des engagements internationaux d’Ankara, refermer brutalement l’espace du débat serait une catastrophe.”
Climat de tension
Les forces de l’ordre ont désamorcé une bombe, le 24 juillet, devant les locaux du groupe de presse
Star, proche du gouvernement. Bien que la tentative d’attentat soit largement imputée au groupuscule d’extrême-gauche MLKP, le groupe
Star s’en est violemment pris dans son communiqué au groupe de presse
Dogan, proche de l’opposition kémaliste, et au parti pro-kurde HDP.
Un journaliste d'
Özgür Gündem,
Cüneyt Yavuz, a été blessé à la jambe par une grenade lacrymogène le 26 juillet à Istanbul, en marge d’échauffourées entre des militants d’extrême-gauche et les forces de l’ordre. Le reporter couvrait une intervention policière aux abords d’un lieu de culte, qui empêchait les proches d’une militante tuée deux jours auparavant de procéder à son enterrement.
Face à la multiplication des attaques contre les médias, RSF appelle toutes les parties à la retenue et à tout mettre en œuvre pour que les journalistes puissent exercer leur travail en toute sécurité.
La Turquie occupe la 149e place sur 180 au
Classement mondial 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
(Photos: Ozan Kose / AFP)