Les enlèvements de journalistes se multiplient
Reporters sans frontières est profondément inquiète de la multiplication des enlèvements de journalistes dans l'est de l'Ukraine et en Crimée. L'organisation réitère son appel aux autorités russes et ukrainiennes, ainsi qu'à l'ensemble des milices actives dans la région, pour qu'elles respectent et protègent les professionnels des médias quelle que soit leur ligne éditoriale.
Deux journalistes enlevés et passés à tabac en Crimée
Le 2 juin 2014 vers 20 heures, le journaliste Sergueï Mokrouchine et le réalisateur Vladlen Melnikov, du Centre d'investigations journalistiques, ont été interpellés par des membres d'une « milice d'autodéfense » qui les ont emmenés à leur quartier général à Simferopol (Crimée). Les deux hommes ont été passés à tabac par les miliciens, qui ont également étudié le contenu de leurs téléphones portables et de leurs comptes sur les réseaux sociaux. Sergueï Mokrouchine a reçu des coups répétés aux reins et au foie, tandis que les assaillants ont frappé la tête de son collègue contre une vitre. D'après les journalistes, la scène s'est déroulée en présence de deux hommes politiques locaux.
Les tortures n'ont cessé qu'à l'arrivée de policiers, qui ont emmené les journalistes au commissariat. La rédactrice en chef du Centre d'investigations journalistiques a rapporté que les miliciens accusaient ses collègues de « hooliganisme », sans apporter aucune précision. Un premier diagnostic médical a relevé de sévères contusions de la cage thoracique et peut-être des côtes fracturées. Les deux hommes ont été remis en liberté dans la nuit, après avoir été interrogés par la police.
Le Centre d'investigations journalistiques est l'une des rares voix indépendantes de la région, où plusieurs médias ont fermé suite à l'intervention russe. Membre du réseau international Global Investigative Journalism Network, l'organisation mène des enquêtes publiées sur son site internet et dans le cadre d'une émission télévisée. Elle conduit également des formations en journalisme d'investigation.
Deux rédacteurs en chef enlevés à Donetsk
Le 2 juin à Donetsk (est de l'Ukraine), Alexandre Brij et Leonid Lapa, respectivement rédacteurs en chef des journaux régionaux Donbass et Vetcherny Donetsk, ont été enlevés par des miliciens anti-Kiev qui ont fait irruption dans leurs locaux. Les deux hommes ont été relâchés un peu plus tard et ont expliqué que les séparatistes exigeaient un changement de ligne éditoriale. Arguant que s'ils le faisaient, ils mettraient leurs journaux « en infraction avec la loi ukrainienne » qui punit l'incitation au séparatisme, ils s'y sont refusés et ont demandé à leurs rédactions respectives de cesser le travail jusqu'à nouvel ordre.
Vetcherny Donetsk appartient à l'oligarque Rinat Akhmetov, très influent dans la région et qui a récemment fait état de son soutien aux autorités de Kiev face aux séparatistes de la « République populaire de Donetsk ». Un des dirigeants séparatistes, Myroslav Roudenko, a expliqué l'enlèvement des deux journalistes comme une réaction à la parution ces dernières semaines de cahiers spéciaux financés par l'oligarque, « dont chaque page dénigrait la République populaire de Donetsk et le choix du peuple ».
Le même jour, le journaliste de la chaîne ukrainienne STB Dmytro Litvinenko a révélé qu'il avait été enlevé et retenu une douzaine d'heures à un checkpoint de la « République populaire de Donetsk » le 29 mai. Les insurgés ont examiné l'équipement du journaliste et n'ont pas apprécié la teneur de ses SMS ni celle d'un récent reportage sur le bataillon Donbass (milice pro-Kiev). Dmytro Litvinenko, son cameraman et leur chauffeur ont été attachés, frappés et emmenés, un sac sur la tête, au siège du SBU de Donetsk. Le chef de l'unité séparatiste a ordonné leur remise en liberté dès qu'il a appris leur détention.
Un citoyen-journaliste toujours porté disparu
On est toujours sans nouvelles d'Artem Larionov, citoyen-journaliste anti-Kiev porté disparu depuis le 10 mai 2014. Depuis le début des troubles dans l'est ukrainien en mars, il filmait les activités des insurgés et les conséquences des combats pour ses chaînes Ustream et Youtube. D'après deux amis, il aurait été vu pour la dernière fois à un checkpoint de l'armée ukrainienne entre Sloviansk et Kramatorsk (Est). Les autorités ukrainiennes affirment n'avoir aucune information à son sujet. Reporters sans frontières exprime sa vive inquiétude pour Artem Larionov et demande à quiconque le détiendrait de s'expliquer sans délais sur son état de santé et sa situation actuelle.
Suivre le fil d'information de Reporters sans frontières sur les principales violations de la liberté de la presse en Ukraine.
(Photos: Viktor Drachev / AFP, AFP Photo / Artem Larionov family archive)