Le Turkménistan, un pays qui persécute ses rares journalistes jusqu'à la mort
Dans cette dictature d’Asie centrale, l’un des pays les plus fermés au monde, l’ancien correspondant de Radio Azatlyk Khudayberdy Allashov est mort le 13 août. Reporters sans frontières (RSF) dénonce le harcèlement et les tortures qu’il a subi durant huit ans pour avoir travaillé trois mois comme journaliste indépendant et appelle les institutions internationales à faire cesser les persécutions contre les rares professionnels des médias au Turkménistan.
“On ne te laissera pas tranquille jusqu’à ce que ça te conduise à la tombe” : la menace des policiers turkmènes, rapportée par Khudayberdy Allashov en 2019, s’est accomplie. L’ancien journaliste est mort à 35 ans le 13 août 2024, après huit années de persécutions. Aucune cause ne figure sur son certificat de décès, mais il avait développé de sérieux problèmes de santé depuis sa première arrestation en 2016. Impossible pour lui de se soigner, les établissements médicaux refusant de prendre en charge un ex-journaliste cible des autorités. Il lui était par ailleurs interdit de quitter sa ville natale, Konye-Urgench (nord).
“Khudayberdy Allashov n’aurait jamais dû subir ce calvaire. Choquée de sa mort prématurée, RSF présente ses condoléances à ses proches. D’autres journalistes et anciens journalistes continuent de risquer leur vie et celle de leur famille pour avoir fait leur travail sous la dictature turkmène. RSF enjoint toutes les institutions internationales à contraindre le président Serdar Berdimuhamedow à faire cesser ces persécutions et ces tortures.
A l’automne 2016, Khudayberdy Allashov commence à travailler, clandestinement, comme correspondant de Radio Azatlyk, service turkmène du média américain Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL). En décembre, il est arrêté avec sa mère sous le prétexte ubuesque de possession de tabac à chiquer. Relâchés après 74 jours derrière les barreaux grâce à la mobilisation internationale sur son cas, tous deux sont condamnés à trois ans de prison avec sursis. Il aura finalement subi deux mois et demi de tortures, en particulier via des chocs électriques et des coups qui lui abîment définitivement les reins.
Cette expérience contraint Khudayberdy Allashov à abandonner le journalisme. Mais les autorités continuent de le persécuter, ainsi que sa famille. Harcelé et sous surveillance constante, il subit des interrogatoires extrêmement violents en octobre 2019, puis encore en 2020. En décembre 2023, il passe 15 jours dans les geôles turkmènes avant d’être libéré grâce à la pression internationale. “Il en est sorti couvert de sang, raconte le directeur du service turkmène de RFE/RL Farruh Yusupov, citant des sources au sein du gouvernement. Khudayberdy était un journaliste courageux, qui ne voulait que le bien de son pays.”
Conditions de détention inhumaines
Le destin tragique de Khudayberdy Allashov n’est pas isolé. Arrêtée en juin 2006 avec deux militants des droits de l’homme alors qu’ils travaillaient sur un documentaire pour l’émission de France 2 Envoyé spécial, la correspondante de Radio Azatlyk Ogulsapar Muradova est, elle, morte en prison en septembre de la même année, après des sévices particulièrement cruels. Ses co-accusés sont sortis de cet enfer près de sept ans plus tard, souffrant de graves séquelles liées à leurs conditions de détention.
Les prisons turkmènes ne se sont sans doute pas beaucoup améliorées depuis. L’état de santé de Nurgeldy Halykov, libéré en juin dernier après avoir purgé sa peine de quatre ans de prison, s’est détérioré. Le journaliste a été arrêté sous prétexte de fraude après avoir envoyé au média en exil Turkmen.news une photo récupérée sur les réseaux sociaux. Il reste sous la surveillance des autorités, obligé de pointer chaque semaine au bureau de police local.
Sous surveillance permanente
Agressions physiques, arrestations arbitraires, téléphone sur écoute, pressions sur ses proches et ses sources… RSF a documenté au moins une vingtaine d’atteintes au travail de la célèbre photojournaliste de 76 ans Soltan Achilova. Depuis ses débuts dans le métier en 2006, elle témoigne des difficultés quotidiennes des citoyens turkmènes. Seule reporter à travailler ouvertement dans ce pays qui contraint ses journalistes à la clandestinité, elle a publié le 11 juillet dernier une vidéo dénonçant le harcèlement qu’elle subit de la part des autorités, ainsi que sa famille et le média en exil avec qui elle collabore régulièrement Chronicles of Turkmenistan. Soltan Achilova a été empêchée le 18 novembre 2023 de quitter le territoire pour recevoir un prix en Suisse.
Son ancien collègue de Radio Azatlyk, Rovshen Yazmuhammedov, emprisonné en 2013, fait lui aussi toujours l’objet de pressions policières et d’une interdiction de quitter le Turkménistan. Alors qu’il a abandonné le journalisme, même sa mère ne peut rendre visite à ses autres enfants à l’étranger. Elle s’est vue refuser l’embarquement à bord d’un avion le 24 février 2024 malgré un visa valide.