Le regard biaisé et sélectif de la diplomatie russe sur les publications de RSF
Rocambolesque : après la publication d’une nouvelle édition de notre enquête sur la censure numérique en Russie, l’ambassade de Moscou en France stigmatise Reporters sans frontières sur la base d’un rapport officiel qui emprunte largement (et de manière sélective) des données de RSF.
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A deux semaines des élections législatives en Russie, l’ambassade de Moscou en France a vivement réagi à la publication de la nouvelle édition du rapport de Reporters sans frontières (RSF) sur la censure sur Internet en Russie. Celui-ci révèle comment l’Etat, sous la direction du président Vladimir Poutine, a drastiquement restreint, ces derniers mois, la liberté de la presse et d’expression dans le pays. L’ambassade russe affirme, sur Twitter : “Leur nouveau “rapport” antirusse est biaisé et basé sur une vision des faits limitée. Il serait utile que RSF et autres ONG de même vocation fassent plus attention à des violations flagrantes des droits de l’homme dans leurs pays d’origine.”
L’ironie de l’affaire, c’est que le tweet renvoie vers un rapport du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie publié cet été, intitulé Situation des droits de l’Homme dans certains pays. Ce rapport a pour objet d’évaluer la situation des droits de l’homme dans 40 pays d’Europe, ainsi que les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Naturellement, la Russie elle-même ne fait pas partie des pays en question, ni aucun des alliés de la Russie. L’intention évidente, fidèle à l’un des axes de la diplomatie du Kremlin, est de pointer les insuffisances des pays occidentaux, parfois sur la base de fausses comparaisons et d’interprétations excessives.
Les plumes du ministère dirigé par Sergueï Lavrov ont largement puisé dans les données de RSF, qui est l’organisation de défense de la liberté de la presse la plus citée dans ce rapport. En tout, les informations et les analyses de RSF sont citées pour 16 des 40 pays du rapport. Le ministère rappelle notamment la dénonciation par RSF des risques que la surveillance accrue fait peser sur la confidentialité des sources en France, des actes de violence contre des journalistes en Allemagne ou encore des restrictions de diffusion visant le groupe RT en Lituanie.
“La diplomatie russe est manifestement très ambivalente à l’endroit de RSF, et semble avoir une écoute très sélective, souligne le secrétaire général de l’organisation, Christophe Deloire. L’écoute sélective n’est pas propre à la Russie, mais les dirigeants russes poussent le bouchon plus loin que d’autres. Dans tel rapport publié par le ministère russe, nous semblons être une référence en matière de liberté de la presse dans les autres pays. Deux mois plus tard, le poste diplomatique à Paris nous accuse indûment d’être anti-russes. Nous suggérons que Moscou renonce à une logique de “deux poids deux mesures” qu’elle reproche parfois à raison à d’autres pays. Nous comptons sur la diligence des autorités russes à tenir compte également de nos appréciations et recommandations dans leur propre pays et serons toujours disposés à discuter avec elles de manière constructive .”
La Russie occupe le 150e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.