Le président Rafael Correa poursuit les médias, condamnation d’un journaliste et trois directeurs du quotidien El Universo
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Reporters sans frontières déplore la sentence du tribunal de Guayaquil (ouest), qui a condamné, le 20 juillet 2011, l’éditorialiste Emilio Palacio et trois directeurs du quotidien El Universo, Carlos, César et Nicolas Pérez, à trois ans de prison assortis d’une amende de 30 millions de dollars à payer solidairement. À l’issue du procès ouvert après une plainte du président Rafael Correa, le juge Juan Paredes a également ordonné le quotidien El Universo à payer 10 millions de dollars de dommages et intérêts.
"Même si Palacio a tenu des propos extrêmes, nous rejetons la condamnation à trois ans de prison et l’amende exorbitante infligée au quotidien El Universo, ses directeurs et l’ancien éditorialiste. Ces peines paraissent d’autant plus inopportunes qu’elle interviennent en plein débat sur la future loi de communication", a déclaré Reporters sans frontières. "Contrairement à la tendance générale à la dépénalisation des délits de presse observée en Amérique latine, la législation équatorienne prévoit toujours des peines de prison en cas de diffamation. L’incarcération pour un délit de presse contrevient à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à laquelle l’Équateur est tenu en tant qu’État membre de l’Organisation des États américains (OEA). Cet acharnement judiciaire révèle une stratégie des autorités équatoriennes visant à réduire au silence les médias dans le pays, déjà très critiqués par le président Correa lors de ces ‘cadenas’ et ‘enlaces’. Nous appelons une nouvelle fois à la dépénalisation des délits de presse dans le pays et demandons à la justice de revoir cette condamnation. Le maintien de ce jugement constituerait un encouragement à l’auto-censure", a ajouté l’organisation.
Le président Correa avait porté plainte, le 21 mars 2011, pour "injure calomnieuse" contre les trois directeurs et l’éditorialiste d’El Universo. La plainte réclamait un montant de 80 millions de dollars de dommages et intérêts et comportait un volet pénal exigeant une peine de trois ans de prison. Dans une tribune publiée le 6 février dernier sous le titre “Non aux mensonges !”, l’éditorialiste Emilio Palacio, sans jamais citer le nom du Président, l’avait traité de "dictateur" et l’accusait de vouloir amnistier les policiers à l’origine du soulèvement du 30 septembre 2010. Le journaliste soulignait qu’il pouvait être jugé pour "crimes contre l’humanité".
Le 19 juillet dernier, lors d’une audience tenue à huis clos et sans participation de la presse, bien que normalement publique, les directeurs du quotidien ont proposé une conciliation acceptant de publier les éclaircissements jugés nécessaires par le Président. Rafael Correa, qui avait précédemment proposé de retirer la requête si le quotidien acceptait de rectifier l’article, a rejeté l’offre de conciliation.
Reporters sans frontières s’était déjà adressée au président, le 1er avril 2011, pour lui demander de retirer sa plainte ainsi que les procédures engagées pour “dommage moral” visant Juan Carlos Calderón et Christian Zurita, auteurs du livre “Le Grand Frère”. La lettre ouverte envoyée au président reste sans réponse.
Le cas d’El Universo évoque directement les affaires de “poursuites-bâillons” engagées dans certains pays anglo-saxons, consistant à demander des réparations ruineuses à l’acteur incriminé - médias ou ONG - afin de l’obliger à se rétracter ou le faire disparaître. La faillite du quotidien pourrait toucher plus de quatre mille personnes employés du quotidien, ont exprimé Carlos, César et Nicolas Pérez. Emilio Palacio avait démissionné, le 7 juillet 2011, en espérant que le Président retire sa requête contre El Universo et ses directeurs.
La loi de communication actuellement débattue, dont nous avions souligné les aspects favorables, offre l’occasion de démocratiser l’espace médiatique. Nous demandons qu’un volet sur la dépénalisation des délits de presse soit inclus et que le critère de "bonne information" soit abandonné.
Publié le
Updated on
20.01.2016