Le président iranien doit rendre des comptes sur son implication dans l’exécution de journalistes en 1988
Le président iranien Ebrahim Raïssi est attendu à New York dans le cadre de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui débute ce mardi 13 septembre. À cette occasion, Reporters sans frontières (RSF) demande à ce que le président iranien rende des comptes pour son implication dans le massacre de milliers de prisonniers politiques en 1988, dont plusieurs centaines de journalistes. L’organisation rappelle également qu’aujourd’hui encore, 22 journalistes iraniens sont emprisonnés dans des conditions dramatiques.
“Après un premier procès et la condamnation à perpétuité de Hamid Noury en juillet dernier, la justice doit continuer à avancer concernant les autres membres de la “commission de la mort” responsables des terribles massacres de 1988, dont le président iranien Ebrahim Raïssi, déclare Antoine Bernard, directeur du plaidoyer et du contentieux stratégique de RSF. L’immunité dont bénéficie le chef de l’État ne devrait en aucun cas être synonyme d’impunité. Il devra, lui aussi, rendre des comptes face à une justice indépendante des crimes contre l’humanité que lui attribue à raison le rapporteur spécial des Nations unies sur l’Iran.”
Le 14 juillet 2022, le tribunal de Stockholm a condamné à la prison à perpétuité Hamid Noury qui a exercé des responsabilités dans la prison de Gohardasht (actuellement Rajai Shahr, au nord de Téhéran) en 1988, lorsque plusieurs centaines de prisonniers, dont des journalistes, ont été exécutés.
Entre juillet et septembre 1988, près de 4 000 détenus politiques exécutés
L’actuel président iranien, Ebrahim Raïssi, fut l’un des membres de la “commission de la mort” qui avait pour mission à l’époque d’interroger des milliers de prisonniers politiques, dont des journalistes. Lors d’interrogatoires ne durant parfois que quelques minutes, des milliers de prisonniers qui refusaient de renoncer à leurs convictions ont été condamnés à mort. Au cours de la seule année 1988, entre les mois de juillet et de septembre, près de 4 000 détenus politiques, préalablement condamnés à des peines d’emprisonnement, ont finalement été exécutés.
Le 29 juin 2021, le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans le pays, Javaid Rehman, a confirmé que les preuves démontrant le rôle et l’implication d’Ebrahim Raïssi dans des “crimes contre l'Humanité” étaient suffisantes pour demander l’ouverture d’une enquête internationale contre le président de la République islamique. Cette demande est restée lettre morte jusqu’à présent.
La République islamique d’Iran est l’un des régimes les plus répressifs envers les journalistes. Il détient le triste record du monde du plus grand nombre de condamnations à mort de reporters au cours de ces 50 dernières années. Le 12 décembre 2020, l’administrateur de la chaîne Telegram Amadnews, Rouhollah Zam, a été exécuté par pendaison. Il avait été condamné à mort à l'issue d’un procès inique, mené sous la responsabilité d’Ebrahim Raïssi.
Et la liste des journalistes emprisonnés ne cesse de s’allonger. Depuis le début du mois d'août, au moins quatre journalistes ont été incarcérés dans les prisons iraniennes où l’état de santé des prisonniers se dégrade.
Six femmes emprisonnées pour leurs activités journalistiques
Farangis Mazloom, la mère du lauréat du prix RSF 2017 dans la catégorie journaliste-citoyen, Soheil Arabi, a été convoquée et emprisonnée le 2 août 2022 pour purger une peine d'un an et demi de prison ferme. Elle avait été condamnée, en mars 2021, pour “réunion et complot contre la sécurité nationale” et “propagande contre le régime”. Son crime : avoir alerté l’opinion publique sur les conditions de détention de son fils et avoir protesté contre les traitements inhumains et dégradants qui lui sont infligés. Selon les informations transmises de la prison par la journaliste Narges Mohammadi, Farangis Mazloom est malade et a été victime d’une crise cardiaque. Elle a alors été transférée à l’hôpital, mais a été renvoyée dans sa cellule dès le lendemain.
Le 21 août, Hossein Razagh, journaliste très actif sur les réseaux sociaux, a été arrêté à Amol (ville du nord du pays) et a été transféré à la prison d’Evin. Depuis deux ans, le journaliste publiait des tweets alertant notamment sur sa mise en examen pour des informations qu’il a publiées considérées par le régime comme de “fausses informations troublant l’ordre public”.
Lila Hossienzadeh, activiste des droits des femmes et traductrice, a été arrêtée le 20 août dans la ville de Chiraz. Elle a été transférée à la prison d’Evin après son dernier tweet concernant l’arrestation de femmes activistes et sur sa propre situation - elle avait été victime de torture lors de sa première arrestation. Très active sur les réseaux sociaux, elle s’est courageusement engagée dans la lutte contre la censure. Souffrant d'une maladie auto-immune, elle a été libérée de prison l'année dernière.
La photojournaliste et défenseure des droits des femmes Raha Askarizadeh a, quant à elle, été convoquée et emprisonnée le 3 septembre dernier pour purger une peine de deux ans ferme. Arrêtée en décembre 2019, elle avait été libérée sous caution un mois plus tard dans l’attente de son jugement. Au début du mois de mars 2021, elle a été informée de sa condamnation à deux ans de prison ferme, auxquels s’ajoutent deux ans d'interdiction de quitter le pays et d’activité sur les réseaux sociaux. Deux autres photojournalistes emprisonnées l’année dernière, Alieh Motalebzadeh et Noushin Jafari, purgent respectivement trois et cinq ans de prison. Six femmes sont emprisonnées en Iran pour leurs activités journalistiques.
De nombreux journalistes emprisonnés en Iran ont vu leur état de santé se dégrader, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique, en raison des conditions de détention. D'autant plus que certains des journalistes incarcérés sont âgés. À 73 ans, le rédacteur en chef du mensuel Iran Farda, Kayvan Samimi Behbahani, est l’un des plus vieux journalistes emprisonnés au monde.
Des journalistes visés par des sanctions et des conditions de détention difficiles
Le journaliste indépendant de 69 ans, Alireza Saghafi, directeur du magazine Rah Ayandeh (suspendu en 2010) et de Naghd noo (suspendu également) et membre de l’Association des écrivains iraniens, dont l’état de santé s'est dégradé, s’est vu confisquer ses biens par la justice iranienne dernièrement.
Le 2 septembre, Kasra Nouri, journaliste emprisonné dans la ville de Chiraz, s’est vu interdire les visites de sa famille pendant trois jours. Selon son avocat, il a été interrogé et mis en examen pour une lettre qu'il voulait rédiger avec ses codétenues sur la situation de la prison.
Membre de la rédaction du site d’information Majzooban Nor, Kasra Nouri est emprisonné depuis 2018, avec trois autres membres du comité de rédaction du site d’information Majzooban Nor : Mohammad Sharifi Moghadam, Mostafa Abdi, et Abbas Dehghan. Comme ses confrères, il n’a pas bénéficié des permissions prévues par la loi pour les prisonniers en Iran. Les collaborateurs de ce site qui était la seule source d’information indépendante de la communauté soufie des derviches Gonabadi, ont été brutalement arrêtés dans la nuit du 19 au 20 février 2018, dans le quartier de Pasdaran (au nord de Téhéran), en marge d’affrontements entre la police et des membres de cette communauté.