Le JDD version Bolloré : avec nous ou contre nous
La direction du Journal du dimanche (JDD), déjà sous l’emprise de Vincent Bolloré, s’est retirée d’une conférence dont elle était partenaire en raison de la participation du philosophe et homme politique Gaspard Koenig. Son tort ? Avoir été l’un des 400 signataires de la tribune de soutien à la rédaction du journal en grève.
L’événement aurait pu passer inaperçu. Raté. Jeudi 29 juin, le Journal du dimanche (JDD) n’a pas honoré son partenariat avec Opinion Square, un institut qui organise des débats sur des sujets de société. L’hebdomadaire assurait jusqu'ici la visibilité et l’annonce de ces tables rondes. Et son directeur de publication, Jérôme Béglé, jouait habituellement le rôle de modérateur. Ce soir-là, l’absence notable de ce dernier n’avait rien à voir avec le sujet du jour, Chat GPT, un outil utilisant l’intelligence artificielle pour répondre à des requêtes d’internautes, mais avec la présence confirmée par les organisateurs de Gaspard Koenig. Deux jours plus tôt, le philosophe et homme politique avait signé, à l’instar de 400 personnalités, la tribune soutenant la rédaction en grève de l’hebdomadaire. Depuis près d’un mois, cette dernière proteste contre la nomination du journaliste et soutien d’Éric Zemmour, Geoffroy Lejeune à la tête du journal.
Selon les informations de Reporters sans frontières (RSF), la prise de position publique de Gaspard Koenig a été jugée “incompatible” avec la participation du journal à cet événement. “Le JDD ne voulait pas de moi, l’organisation a décidé de me maintenir, et le journal a finalement décidé de se retirer”, explique l’essayiste joint par RSF. Une version des faits confirmée par une source faisant partie de l’organisation de ce débat qui a finalement eu lieu… sans Jérôme Béglé. Selon cette source, la crainte qu’une question soit posée au directeur de publication du JDD ou à Gaspard Koenig sur la pétition signée par ce dernier a eu raison du partenariat institué avec le média depuis le mois de mars.
Drôle de conception du débat, surtout lorsqu’il est parrainé par un journal... “Ça reflète un certain état d’esprit, résume Gaspard Koenig. Quand ils disent que le rachat de ces médias n’est pas idéologique, CQFD…” Dans sa présentation de la table ronde le jour J, l’organisatrice a fait une brève mention des “soucis internes et externes” de son partenaire.
“Quand on est partenaire d’un événement qui veut ‘introduire le débat contradictoire en France’, se retirer parce que quelqu’un défend une position qui ne nous convient pas a quelque chose de burlesque. Mais cette réaction, qui peut paraître puérile à première vue, traduit en réalité une conception très étriquée et très polarisée du journalisme et du débat d’idées portée par Vincent Bolloré et tous ceux qui facilitent son emprise dans les médias du groupe Lagardère, comme le JDD, en passe d’être rachetés.”
Sollicité à plusieurs reprises, Jérôme Béglé n’a pas répondu aux appels et aux messages envoyés par RSF.
La rédaction du JDD a cessé le travail depuis près d’un mois, une première en 75 ans d’existence, pour protester contre la nomination à la tête du journal de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de Valeurs Actuelles. Difficile de ne pas voir dans cette nomination dont Arnaud Lagardère a tenté d’assumer la responsabilité, l’ombre de Vincent Bolloré, lui aussi soutien d’Éric Zemmour arrivé 4e de l’élection présidentielle en 2022.
Alors que l’industriel breton est en passe de finaliser le rachat des médias du groupe Lagardère dont le JDD, Paris Match et Europe 1, RSF a eu confirmation que l’enquête préliminaire de la Commission européenne pour “gun jumping” – prise de contrôle anticipée – avait bien démarré sur la base des nombreux signaux montrant l’influence du milliardaire sur ses nouvelle conquêtes médiatiques comme RSF l’avait documentée.