Le contrôle des médias hongrois est « sans précédent dans l’UE»
Reporters sans frontières (RSF) publie les conclusions d’une mission internationale menée en Hongrie pour dresser un bilan de l’état de la liberté de la presse dans le pays. Les organisations participantes dénoncent « la mainmise du gouvernement hongrois sur les médias qui a atteint un niveau sans précédent dans un pays membre de l’Union européenne (UE) » et appellent les autorités européennes à agir sans tarder.
Une délégation composée de Reporters sans frontières (RSF), l’International press institute (IPI), Article 19, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), la Fédération européenne des journalistes (EFJ) et Free press unlimited (FPU) s’est rendue en Hongrie du 25 au 27 novembre 2019 pour témoigner de l’état de la liberté de la presse. Cette mission a notamment été l’occasion de rencontrer le porte-parole international du gouvernement hongrois, Zoltán Kovács, le maire de Budapest, Gergely Karácsony, ainsi qu’un grand nombre de journalistes hongrois.
Ces rencontres ont permis de constater une forte dégradation de la situation de la liberté de la presse en Hongrie, où le gouvernement poursuit une stratégie bien rodée, qui a pour finalité de faire taire la presse critique, en intervenant sur le marché des médias – fermetures forcées, prises de contrôle des médias indépendants – et en menant une campagne de délégitimation des journalistes indépendants. Une grande partie de la population, en particulier dans les zones rurales, se retrouve ainsi privé d’informations indépendantes.
Dans leur rapport, les organisations soulignent le manque de pluralisme des médias qui se sont concentrés très largement entre les mains de quelques hommes d’affaires proche du gouvernement. Cependant la situation n’est pas nouvelle, puisque dès 2017, RSF dénonçait la mainmise du pouvoir sur les médias. Suite à la fermeture des quotidiens influents Népszabadság et Magyar Nemzet, la Hongrie n’a plus qu’un seul quotidien politique indépendant, Népszava, mais qui a une portée assez limitée. Le système de régulation des médias est quant à lui totalement sous le joug du parti au pouvoir puisque le Conseil des médias est composé de cinq membres, tous nommés par le parti Fidesz, et qui n’a de cesse d’entraver le travail des journalistes indépendants.
La délégation met aussi en avant la marginalisation croissante des médias indépendants qui ne peuvent plus effectuer leur travail correctement puisqu’ils font l’objet d’une discrimination généralisée de la part de l’Etat. Leur voix est étouffée par un discours dominant en faveur du gouvernement et leur influence, se limite à la capitale, Budapest, laissant le reste du pays dans l’obscurité. Les journalistes indépendants sont aussi la cible de menaces répétées et manquent cruellement de moyens financiers. En effet, deux journalistes du site d’investigation indépendant, Index, ont récemment été la cible d’attaques de la part des médias pro-gouvernementaux et d’une campagne de diffamation à caractère antisémite. Ce climat délétère nuit fortement à la profession et à sa capacité à remplir son rôle de chien de garde.
La rapport pointe aussi du doigt l’inaction de l’UE et son incapacité à empêcher qu’un Etat membre bafoue si manifestement la liberté des médias. Ce manque de réaction européenne a permis au gouvernement hongrois d’exporter son modèle illibéral à travers l’Europe centrale et orientale, mettant en danger la presse indépendante dans la région.
L’ensemble des recommandations faites par les organisations et le bilan complet de l’état de la presse en Hongrie sont disponibles ici.
Recommandations urgentes :
Pour répondre aux atteintes à la liberté de la presse identifiées au cours de la mission, la délégation a établi un ensemble de recommandations aux Etats membres de l’UE et aux institutions européennes concernées.
L’UE doit reconnaître la gravité de la situation de la liberté de la presse en Hongrie et prendre toutes les mesures nécessaires pour y répondre. Pour cela, l’UE doit condamner explicitement toutes les attaques contre les journalistes et rappeler l’importance d’un journalisme indépendant et critique en tant qu’élément essentiel de la démocratie.
L’UE doit aussi surveiller les différents organes de réglementation des médias et l’indépendance du pouvoir judiciaire en Hongrie, vérifier qu’il n’y a pas d’utilisation abusive des fonds européens, mais aussi étendre et renforcer le soutien financier qu’elle apporte aux médias indépendants hongrois.
La délégation adresse aussi des recommandations au gouvernement hongrois :
Le gouvernement hongrois doit reconnaître l’importance de la liberté de la presse et du pluralisme des médias en prenant des mesures significatives pour rétablir ces valeurs dans l’environnement médiatique. Ainsi, il est nécessaire que ce dernier garantisse une concurrence loyale sur le marché des médias pour éviter la concentration de la propriété dans les mains du pouvoir.
Le gouvernement est appelé à mettre fin aux financements publics abusifs (en particulier la publicité financée par l’Etat) qui servent à aider les médias pro-gouvernementaux de manière disproportionnée et discriminatoire par rapport aux médias indépendants.
Enfin, le gouvernement doit garantir la protection et la sécurité des journalistes indépendants en cessant d’entretenir les attaques dont il font l’objet et en les dénonçant publiquement ainsi qu’en lançant des poursuites contre leurs auteurs si nécessaire.
La Hongrie occupe actuellement la 87e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF et accuse un recul de quatorze place en un an.