L'armée nigériane multiplie les saisies de journaux pour « raisons sécuritaires »
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Reporters sans frontières condamne fermement la saisie, ces quatre derniers jours, de journaux par l’armée et exhorte les autorités à respecter le droit à l’information des Nigérians.
Depuis le 6 juin 2014, de nombreux quotidiens ont été confisqués par les militaires sur l’ensemble du territoire. L’armée a empêché la distribution de certains titres, notamment Leadership, The Nation et Daily Trust Newspaper menaçant et interpellant parfois le personnel de distribution.
Selon le porte-parole des armées Chris Olukolade, ces actions consistaient en une opération de routine, après des informations révélant des mouvements de « matériels contenant de sérieuses implications sécuritaires » et utilisant le réseau de la presse écrite. L’armée aurait ainsi voulu s'assurer qu'aucun matériel venant menacer la sécurité des Nigérians n'était transporté dans les camionnettes de distribution des journaux.
Tôt dans la journée du 6 juin, les services de sécurité et l'armée nigériane ont en effet assailli des vendeurs et distributeurs de journaux dans le but de confisquer des centaines de numéros notamment des journaux The Punch, Vanguard, The Nation et Leadership et ce dans les principaux points de distributions du pays, à savoir, Abuja, Kaduna, Kano, Jos, Maiduguri et Ibadan. A l'aéroport international de Lagos, les journaux destinés à l'expédition ont été confisqués, de même dans la région de Port Harcourt.
Le quotidien Leadership, particulièrement touché par les confiscations, avait publié mardi 3 juin un article selon lequel dix généraux et cinq gradés de l'armée auraient été jugés et reconnus coupables par une cour martiale de complicité avec Boko Haram. Dès le lendemain, l'armée avait démenti en accusant le journal de vouloir ternir l'image de l'armée et de ses troupes. Dans un contexte plus large, les médias nigérians ne sont pas rares à dénoncer l'incapacité de l'armée à gérer le problème Boko Haram.
«Nous exhortons les autorités militaires du pays à cesser ces pratiques, déclare Reporters sans frontières. Si l’armée craignait réellement le transport d’armes dans des camionnettes de presse, pourquoi aurait-elle saisi et confisqué tous ces journaux ? Ces actes viennent entraver le droit à l’information de la population nigériane. L’armée doit faire face aux critiques portées par les médias sans les empêcher de circuler. »
Malgré les nombreuses dénonciations de la part des médias et des organisations internationales vendredi, l'armée a continué de saisir arbitrairement des journaux tout au long du week-end. Leadership Weekend, The Guardian on Saturday, Thisday, Weekend Trust, Sun, Pilot, Newswatch, The Mirror et Satuday Punch ont également été la cible de confiscations. Le matin du 7 juin, dans le nord du pays, le personnel chargé d'acheminer le journal Leadership a été arrêté et détenu avant d’être relâché dans l’après-midi. Le rédacteur en chef du média a rapporté qu'«aucune raison n’avait été donnée(…), les militaires ont examiné toutes les pages pour être sûrs que le journal ne contenait aucune histoire en lien avec Boko Haram. Ils n’ont aucune justification pour cela. Je pense sincèrement qu’ils veulent juste handicaper les journaux du pays ».
Le même jour à Abuja, des militaires armés ont également envahi des centres de distribution de Gariki, menaçant les vendeurs et distributeurs présents et les empêchant de décharger les journaux des camionnettes. Dans le sud-ouest du pays des camionnettes du journal The Nation ont été saisies et les éditions du journal censées être distribuées ont été confisquées.
Le dimanche 8 juin, les camionnettes transportant l'édition du jour de The Nation dans le nord du pays ont été interceptées à Jos par des soldats. D’après un témoin présent sur la scène, dix soldats ont envahi le point de distribution de Minna à 7 heures du matin et ont examinés scrupuleusement tous les journaux. Après une relecture minutieuse, ils ont décidé de laisser en circulation les éditions de Vanguard, Tribune, Sun, Union, ThisDay, Guardian et Sunday NewsWatch mais ont interdit la distribution de trois autres journaux : The Nation, Leadership et Daily Trust newspapers. Les soldats sont restés sur place jusqu'au milieu de l'après-midi, après s'être assurés que la distribution de ces trois quotidiens était impossible. Dans l’État du Bénin, un incident similaire a été rapporté, au terme duquel les éditions de The Nation, Leadership et Daily Trust newspapers n'ont pas été autorisés à circuler.
Le 9 juin les forces armées ont, pour le quatrième jour consécutif, entravé la bonne circulation et diffusion des journaux nigérians notamment à Lagos et Ibadan. Daily Trust, Leadership et The Nation comptent parmi les principaux quotidiens visés.
Un militaire nigérian a déclaré que cette “opération de routine” se poursuivrait jusqu'à ce que la situation sécuritaire soit satisfaisante pour l’armée.
Le Nigeria est classé 112e sur 180 dans l’édition 2014 du Classement mondial sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on
20.01.2016