La protections des journalistes et des médias afghans est le devoir de l’État mais aussi de la communauté internationale
A l’occasion de la conférence à Bruxelles sur l'Afghanistan les 4 et 5 octobre 2016, Reporters sans frontières (RSF) renouvelle son appel à l’État afghan et aux gouvernements de 70 pays, notamment de l’Union européenne, de défendre la liberté d’information, les journalistes et les médias en Afghanistan.
Organiser par l'Union européenne et le gouvernement afghan, la conférence de Bruxelles sur l'Afghanistan réunira jusqu'à 70 pays et 20 organisations et agences internationales.Elle doit permettre au gouvernement afghan d'exposer sa vision et son bilan en matière de réformes. Pour la communauté internationale, la conférence sera l'occasion d'affirmer sa volonté de fournir un soutien politique et financier durable en faveur de la paix, de la consolidation de l'État et du développement en Afghanistan.
Reporters sans frontières (RSF) profite de cette occasion pour exprimer sa vive inquiétude concernant la sécurité de centaines de journalistes et médias dans plusieurs provinces afghanes sous le coup d’une intensification des attaques des Talibans et du groupe Etat islamique (Daech). Actuellement, une dizaine de médias et une centaine de journalistes travaillent dans ces provinces, sous la menace directe des assaillants et parfois la pression des autorité locales. Depuis début 2016, RSF a recensé au moins 35 cas de violences contre les journalistes et les médias en Afghanistan.
“Un jour avant la conférence, les Talibans ont intensifié leurs attaques contre plusieurs régions notamment à Koundouz et Helmand, déclare Reza Moini, responsable du bureau Afghanistan de RSF. Des journalistes ont été contraints de fuir. La situation critique de ce pays nous encourage à rappeler la nécessaire création d’un représentant auprès du Secrétaire général des Nations unies pour la sécurité des journalistes.”
Le devoir de l’État, des forces de l’ordre et des services de sécurité est de protéger les journalistes et les médias. Assurer la sécurité du peuple afghan, c’est aussi assurer le droit aux journalistes d’informer. Dans ces moments risqués, les démocraties engagés en Afghanistan doivent également assumer leurs responsabilités. Les journalistes afghans ne doivent pas être découragés par les menaces des Talibans et le silence de la communauté internationale.
Depuis 2001, les journalistes travaillant en Afghanistan ont payé un lourd tribut. Au moins 35 professionnels des médias ont perdu la vie en raison de leur travail d’information dans le pays, dont 16 journalistes étrangers (4 Allemands, 2 Américains, 2 Français, 2 Italiens, 2 Suédois, 1 Australien, 1 Canadien, 1 Norvégien, 1 Britannique). Dans la majorité des cas, l’impunité demeure la règle. La majorité de ces journalistes a été assassinée par les Talibans.
Le premier objectif de ces prédateurs de la liberté que sont les Talibans et l’Etat islamique est de priver la population d'une information indépendante, en créant un climat de terreur qui réduit au silence les médias. Malgré les efforts courageux des journalistes pour assurer leur devoir d'informer, les zones de conflit (provinces d’Helmand, Koundouz, Baghlân, Nangarhâr, Takhâr, Ghazni et Farâh) sont en train de devenir des “trous noirs de l’information”, et la liberté de l’information dans ces zones disparaît.
Un épisode illustre la politique assumée des Talibans de saper la paix et la démocratie: l’attaque kamikaze contre le bus de la société de production Kabura, dans laquelle ont été tués 7 collaborateurs salariés de Moby Group, le 20 janvier 2016, attentat contre les médias le plus meurtrier depuis la chute du régime taliban. Or cette attaque avait été préméditée, puisque le 12 octobre 2015, les Talibans avaient qualifié de “cibles militaires” les deux plus grandes chaînes privées du pays, dans un communiqué signé par la «Commission militaire de l’Émirat islamique d’Afghanistan». «Désormais, Tolo TV et 1TV sont considérées par nous comme des cibles militaires et non plus des médias», avaient-ils prévenu, précisant même: «Rien n’est à l’abri de nos attaques, ni le personnel (présentateur, reporters, équipes…) ni les bâtiments eux-mêmes.»
RSF juge inacceptable que les démocraties et l’Etat afghan n’exigent pas comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève. D’autant que ces pays eux-mêmes sont signataires de ces traités internationaux fondamentaux.
RSF soutien l'appel de la fédération des journalistes d’Afghanistan et demande au président Mohammad Ashraf Ghani et au chef de l’exécutif Abdullah Abdullah d'appliquer les mesures adaptées pour la protection des journalistes.
We, Afghan journalists and members of the Afghan media, call on all of you at the BrusselsConference to make the Afghan government more accountable in providing information,implementing laws and regulations to support free media and to ensure the safety of journalists. We also reiterate our calls to the international community to support Afghan media on the road to sustainability throughout the decade of transformation.
L’histoire récente de l’Afghanistan démontre qu’il sera impossible de construire la paix sans imposer la justice. Or la violence exercée contre les journalistes est encouragée par l’impunité systématique dont bénéficient les auteurs d’exactions. RSF rappelle que l’assassinat de journalistes n’est pas seulement un crime contre la liberté d’expression, mais doit aussi être considéré comme un crime de guerre et, à ce titre, être sévèrement condamné.
L’Afghanistan est classé 120e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2016 établi par Reporters sans frontières.