La Malaisie viole le statut de réfugié d’un journaliste pakistanais et l’expulse vers son pays

Expulsé de Malaisie, Syed Fawad Ali Shah, qui avait dû fuir le Pakistan après avoir été enlevé et torturé par les services secrets, n’a plus donné signe de vie depuis le 23 août dernier. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités malaisiennes de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements administratifs qui ont abouti à son expulsion, et exige du gouvernement d'Islamabad qu’il révèle immédiatement où se trouve le journaliste.

L’annonce, brutale, est tombée hier, mardi 3 janvier. Le ministère malaisien de l’Intérieur a reconnu que le journaliste pakistanais Syed Fawad Ali Shah (ou Fawad Shah) avait été expulsé en août dernier vers son pays d’origine, sur demande de l’ambassade du Pakistan à Kuala Lumpur. Les autorités malaisiennes justifient cette décision par le fait qu’Islamabad aurait décrit le journaliste comme un officier de police faisant l’objet de poursuites disciplinaires.

Problème : non seulement Fawad Shah n’a jamais exercé la fonction de policier mais, surtout, il vivait en parfaite légalité en Malaisie sous le statut de réfugié, octroyé dès 2014 par le Haut-Commissariat des Nations unies (HCR). Et pour cause, il avait dû fuir le Pakistan en 2011, après avoir été kidnappé par des membres de l’Inter-Services Intelligence (ISI), les redoutables services secrets pakistanais.

Dysfonctionnements inacceptables

Détenu pendant trois mois et demi dans une cave, il avait été torturé, vraisemblablement en raison d’une série d’enquêtes qu’il avait signées dans le quotidien The Nation sur des cas de disparitions forcées, et les liens présumés de l’ISI avec des groupes talibans. 

“Par la faute des autorités malaisiennes, nul ne sait désormais à quel endroit se trouve Syed Fawad Ali Shah et, surtout, dans quelles conditions il survit, regrette le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous demandons au ministre malaisien de l’Intérieur, Saifuddin Nasution Ismail, de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements inacceptables qui ont conduit les services de l’immigration à expulser un individu qui était, de fait, placé sous leur protection. Nous en appelons également au ministre pakistanais de l’Intérieur, Rana Sanaullah Khan, pour qu’il révèle immédiatement où le journaliste est actuellement détenu, et dans quelles conditions.”

C’est depuis le 23 août que Fawad Shah n’a plus donné signe de vie. Son épouse, qui préfère garder l’anonymat, a fait le voyage jusqu’à Kuala Lumpur le 19 décembre pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à son mari. Les services administratifs malaisiens – police et services de l’immigration – l’ont renvoyé vers le HCR, affirmant que son cas n'était pas de leur ressort.

Un “exemple effrayant”

En contact avec elle, RSF a demandé, le 30 décembre, aux autorités malaisiennes de faire toute la lumière sur cette affaire. L’épouse du journaliste affirme, de son côté, avoir reçu un appel d’un numéro inconnu le 2 janvier – son interlocuteur, un individu pakistanais, lui conseillait de cesser ses recherches. “On m’a clairement fait comprendre que ma vie serait maintenant en danger si je rentrais dans mon pays, explique-t-elle. Parce que les agences de renseignement m’identifient maintenant comme la femme de Syed Fawad Ali Shah.” 

Ces mêmes agences ont, ces dernières années, multiplié les tentatives de rapatrier le journaliste. Le gouvernement d’Islamabad a présenté plusieurs demandes en ce sens auprès d’Interpol, qui a refusé ces requêtes, jugées sans fondement.

Il y a trois ans, le 6 décembre 2019, Fawad Shah a reçu à son domicile malaisien – censé être tenu secret – un courrier estampillé “ISI” lui intimant l’ordre de se présenter à l’ambassade et de rentrer au pays. Et la menace qu’il contenait était claire : “Nous pensions que tu avais compris la leçon, mais tu n’as pas changé d’avis, courrier. Si tu refuses [de rentrer], nous devrons faire de toi un exemple terrifiant.”

Les nombreux cas d’intimidation, de kidnapping et de tortures perpétrés contre des journalistes expliquent pour une large part la position du Pakistan dans le Classement mondial de la liberté de la presse, à la 157e place sur 180 pays. L’expulsion de Fawad Shah est aussi susceptible de grever la position future de la Malaisie, aujourd’hui classée 113e.

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