La lettre prémonitoire du journaliste syrien Naji Jerf, assassiné en Turquie
Reporters sans frontières (RSF) est bouleversée par l’assassinat du journaliste syrien Naji Jerf, abattu le 27 décembre 2015 en Turquie. En contact avec l’organisation, il évoquait les menaces qui pesaient sur lui et s’apprêtait à rejoindre la France.
Le documentariste avait obtenu un visa pour la France, où il devait se rendre début janvier. Naji Jerf a été abattu en pleine rue à Gaziantep (sud-est de la Turquie), où il travaillait depuis trois ans. Fondateur et rédacteur en chef du magazine d’opposition Henta, il avait réalisé plusieurs films documentaires sur les exactions commises par le groupe Etat islamique et le régime syrien. Reporters sans frontières (RSF) était en contact étroit avec ce journaliste qui rêvait d’offrir à ses deux filles le “niveau d’enseignement supérieur” proposé par la France.
RSF avait notamment intercédé en sa faveur pour l’obtention d’un visa. Dans sa lettre aux autorités françaises qui lui a permis d’obtenir ce visa, Naji Jerf confiait ses craintes pour sa sécurité et son espoir de s’établir dans un pays “respectueux des droits de l’homme”. Fin juillet, il écrivait à l’ambassadeur de France en Turquie, dans le cadre de sa demande officielle : “J’habite maintenant dans la ville turque de Gaziantep et ma propre sécurité est de plus en plus difficile, après une augmentation des menaces envers moi et ma famille, surtout parce que je suis laïque et que je fais partie de la minorité ismaélienne Alaghkhanih ciblée par les djihadistes”. La France lui a accordé la protection qu’il réclamait, mais les tueurs ont agi avant son départ.
“Cet assassinat démontre une fois de plus à quel point les journalistes syriens réfugiés en Turquie sont vulnérables. Il envoie un signal d’intimidation intolérable à tous les collègues de Naji Jerf, souligne Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Nous en appelons instamment aux autorités turques pour qu’elles fassent toute la lumière sur cette affaire. Ankara doit enfin prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des journalistes syriens en exil.”
Originaire de Salamyeh, dans la province de Hama, Naji Jerf avait documenté les exactions du régime syrien et coordonné le travail de citoyens-journalistes au début du soulèvement populaire. Identifié par les services de renseignements, il avait été contraint de se cacher après la mise à sac de son bureau, en octobre 2012 avant de parvenir à quitter le pays un mois plus tard. Il poursuivait ses activités professionnelles depuis Gaziantep et conduisait ponctuellement des formations pour des journalistes indépendants syriens.
Les menaces à l’encontre de Naji Jerf se sont aggravées à partir de l’été 2015, du fait de ses enquêtes sur les exactions du groupe Etat islamique (EI). Son film “L’EI à Alep”, qui documentait l’exécution de nombreux activistes syriens par l’organisation djihadiste, avait été diffusé en novembre. Naji Jerf s’était par ailleurs rapproché du collectif de journalistes “Raqqa est massacrée en silence”, dont les membres sont traqués par l’EI et déclarés “ennemis de Dieu”.
L’assassinat de Naji Jerf n’a pour l’heure pas été revendiqué. Celui de son collègue Ibrahim Abdelkader, le 30 octobre à Sanliurfa, avait été revendiqué par le groupe Etat islamique.