Le 27 mars 2003, la cour d'appel de Port-au-Prince a déclaré irrecevable l'appel de Belosier et Moréno Lindor contre l'ordonnance du juge Fritzner Duclair. La Cour a jugé que le père et le frère de Brignol Lindor ne s'étaient pas formellement constitués parties civiles. L'avocat de la famille a indiqué qu'il allait se pourvoir en cassation. Selon ce dernier, en droit haïtien, la constitution de partie civile n'est pas nécessairement formelle lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public. Belosier et Moréno Lindor ayant réclamé justice au moment de leur comparution devant le juge d'instruction, ils auraient dû, de fait, être reconnus parties civiles dans cette affaire. Si le pourvoi en cassation est rejeté, la seule possibilité pour la famille sera de se constituer partie civile à l'ouverture du procès.
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3 - 12 - 2002 - Assassinat du journaliste Brignol Lindor : un an d'impunité
Un an après l'assassinat de Brignol Lindor (photo), journaliste de la radio Echo 2000, une station de Petit-Goâve, Reporters sans frontières, le réseau Damoclès et l'Association des journalistes haïtiens (AJH) dénoncent l'impunité qui règne dans cette affaire.
Les trois organisations réitèrent leur détermination à obtenir justice pour le journaliste battu à mort, le 3 décembre 2001, par des partisans de Fanmi Lavalas, le parti du président Jean-Bertrand Aristide. L'AJH et le pasteur Denis Laguerre, mandataire de la famille Lindor, avec le soutien du Centre œcuménique des droits humains (CEDH), ont fait appel, les 1er et 3 octobre 2002, devant la cour d'appel de Port-au-Prince, de l'ordonnance de clôture de l'enquête qui met hors de cause l'instigateur de cet assassinat. Reporters sans frontières et le réseau Damoclès étudient quant à eux la possibilité d'un recours devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH).
"Un an après l'assassinat de Lindor, l'impunité reste la règle. Une impunité élevée au rang de stratégie pour créer un climat de terreur et réduire la presse au silence", ont dénoncé Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, et Guyler C. Delva, secrétaire général de l'AJH. A titre d'exemple, ces deux derniers ont rappelé qu'« aujourd'hui encore, sept journalistes se cachent aux Gonaïves, menacés par Amiot Métayer, un fugitif protégé par Fanmi Lavalas et qui terrorise aujourd'hui la population et la presse ».
Le 16 septembre 2002, le juge Fritzner Duclair, chargé d'instruire le dossier sur l'assassinat du journaliste, a rendu son ordonnance de clôture de l'enquête. Comme l'avait annoncé un rapport de mission, publié début septembre 2002 par Reporters sans frontières et Damoclès, le principal instigateur de ce meurtre n'a pas été inquiété. Ainsi, Dumay Bony, le maire adjoint de Petit-Goâve, n'a pas été inculpé. Il avait pourtant appelé à l'application de la formule « zéro tolérance » à l'encontre du « terroriste » Brignol Lindor au cours d'une conférence de presse, le 30 novembre 2001. Une déclaration interprétée par tous comme un appel au meurtre, sauf par la justice haïtienne. Pour de nombreux observateurs en Haïti, cette formule du président Aristide, adressée quelques mois plus tôt comme consigne à la police nationale pour le traitement des délinquants, constitue une légitimation implicite du lynchage.
Dans un rapport adressé à l'Organisation des Etats américains (OEA), le 4 novembre 2002, les autorités haïtiennes affirment que dix personnes ont été inculpées pour le meurtre de Brignol Lindor, parmi lesquelles deux sont incarcérées. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, ces deux individus, Maxi Zéphir et Fritzler Doudoute, sont en réalité détenus dans le cadre d'autres affaires. Et les autorités pénitentiaires de Port-au-Prince, où se trouve incarcéré Maxi Zéphir, refusent depuis plusieurs mois que ce dernier soit entendu pour sa participation présumée au meurtre de Brignol Lindor.
Pour commémorer le premier anniversaire de l'assassinat de Brignol Lindor, Reporters sans frontières et l'Association des journalistes haïtiens (AJH) diffusent, sur les ondes haïtiennes, un message de la famille du journaliste, (photo) réclamant justice :
« (Voix de Robert Ménard) : 3 décembre 2001 - 3 décembre 2002
(Voix de Moréno Lindor) : Je m'appelle Moréno Lindor, je suis le frère du journaliste Brignol Lindor. Le 3 décembre 2001, j'étais à la maison lorsque que l'on m'a annoncé que mon frère avait été tué à coups de machette. A ce moment-là, j'ai cru que le pire était arrivé à ma famille. Je me trompais. Depuis, menacés, nous avons dû fuir le pays. Un an plus tard, les assassins peuvent toujours compter sur la passivité des autorités... Le plus dur, c'est l'injustice. Le plus insupportable, c'est l'impunité. Mon frère a été tué parce qu'il donnait la parole à tout le monde. Il faut que la parole soit rendue aux Haïtiens… et que justice soit rendue à Brignol.
(Robert Ménard :) Solidaires de la presse haïtienne, Reporters sans frontières et l'Association des journalistes haïtiens joignent leur voix à tous ceux qui demandent justice, justice pour Brignol Lindor. »
Recommandations :
L'Association des journalistes haïtiens, Reporters sans frontières et le réseau Damoclès demandent :
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à la cour d'appel de Port-au-Prince, d'infirmer l'ordonnance du juge du Duclair et d'ordonner la réouverture de l'enquête ;
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au futur juge en charge du dossier de lancer des poursuites pour « appel au meurtre » à l'encontre de Dumay Bony ;
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aux autorités pénitentiaires de Port-au-Prince, de permettre que Maxi Zéphir soit entendu par la justice pour sa participation présumée au meurtre de Brignol Lindor.
Les deux organisations renouvellent par ailleurs leur appel
au président Jean-Bertrand Aristide (photo) pour qu'il condamne explicitement tout lynchage public et qu'il donne un coup d'arrêt à l'impunité dont bénéficient les assassins et agresseurs de journalistes.
Lire le rapport "Zéro tolérance pour la presse : enquête sur l'assassinat du journaliste Brignol Lindor"