La disparition du journaliste Duong Van Thai, symbole de l’arbitraire abyssal du régime vietnamien

Réfugié depuis quatre ans en Thaïlande, ce blogueur vietnamien a été vraisemblablement enlevé par des agents vietnamiens, avec la complicité de fonctionnaires thaïlandais. Reporters sans frontières (RSF) exige du régime de Hanoï qu’il révèle une fois pour toute ce qu’il a fait du journaliste.

Depuis deux semaines, rien. Le journaliste indépendant Duong Van Thai est introuvable depuis qu’il a été enlevé, le 13 avril, près de son domicile situé dans la province de Pathum Thani, dans le centre de la Thaïlande, où il s’était réfugié il y a quatre ans pour échapper à la répression des journalistes dans son pays.

Seule information qui a émergé : la police de la province de Ha Tinh, dans le nord du Vietnam, a affirmé le lendemain de cette disparition que Duong Van Thai avait été arrêté pour “entrée illégale” sur le territoire national depuis… le Laos !

Problème, le Code de procédure pénal prévoit qu’en pareil cas, la police a neuf jours pour statuer sur le sort d’un justiciable interpellé : elle doit soit le relâcher, soit le mettre formellement en examen. Or, si l’échéance a expiré ce dimanche 23 avril, aucune information officielle n’a été donnée sur son sort.

“Nous posons au gouvernement vietnamien une question extrêmement simple : où est Duong Van Thai ? D’une part, tout porte à croire qu’il a été enlevé en Thaïlande par des agents vietnamiens ; et, d’autre part, son arrestation pour immigration illégale depuis le Laos apparaît clairement comme une grossière manœuvre pour brouiller les cartes… Et voilà que la police ne parvient même pas à respecter ses propres règles en statuant sur son sort. Le cas de Duong Van Thai illustre tristement le niveau abyssal du mépris dans lequel le régime de Hanoï tient l’état de droit et la liberté de la presse.

Daniel Bastard
Responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF

Trois jours après l’expiration du délai de détention du journaliste, RSF a contacté la direction de la police de Ha Tinh, où le journaliste est censé être détenu, sans obtenir de réponse.

Cible privilégiée 

Selon des sources confidentielles recueillies par RSF, son enlèvement porte le sceau du secrétaire général du Parti communiste vietnamien (PCV), Nguyen Phú Trong, qui mène actuellement une purge au sein du parti laquelle a abouti à rien de moins que le remplacement du président de la République le mois dernier. Alors qu’il assure actuellement un troisième mandat ce qu’aucun de ses prédécesseurs n'avait osé faire , il est situé en bonne place dans la galerie des prédateurs de la liberté de la presse publiée par RSF. 

Disposant, précisément, de sources dans les plus hautes instances du PCV, Duong Van Thai publiait, sous forme de textes et de vidéos, de nombreuses informations sur la corruption et les luttes intestines au sein du parti. En tant que tel, il était une cible privilégiée du tout-puissant secrétaire général.

C’est, du reste, en raison de son profil que Duong Van Thai avait obtenu, en 2020, le statut de réfugié auprès de l’antenne du Haut-Commissariat aux réfugiés à Bangkok. RSF a envoyé le 20 avril une demande écrite d’information au ministère de l’Intérieur thaïlandais sur cet enlèvement qui, selon plusieurs experts, n’a pu se faire sans une complicité passive de fonctionnaires locaux. La demande est restée lettre morte.

Exfiltrations sauvages

Ce n’est pas la première fois que des journalistes étrangers réfugiés en Thaïlande sont “exfiltrés” vers leur pays d’origine sans que Bangkok ne s’en offusque outre mesure. En janvier 2019, Truong Duy Nhat, contributeur au service vietnamien de Radio Free Asia, a été enlevé en plein cœur de la capitale thaïe. Il a été condamné, le 9 mars 2020, à 10 ans de prison pour avoir “abusé de sa position et de son autorité professionnelles”.

En 2016, c’est le journaliste du quotidien chinois Nanfang Dushi Bao, Li Xin, qui a été intercepté alors qu’il voyageait entre Bangkok et le nord-est de la Thaïlande. Alors qu’il s’apprêtait à y demander l’asile, il a été renvoyé en Chine, direction, la prison. 

Un an plus tôt, c’est l'éditeur suédois d'origine chinoise Gui Minhai qui a été kidnappé alors qu’il était en séjour à Pattaya. Il est finalement réapparu quelques mois plus tard, réduit à un exercice de confession forcée sur les ondes de la CCTV, la télévision d’État chinoise. Le 24 février 2020, il a été condamné par le régime chinois à dix ans de prison pour avoir “illégalement diffusé à l’étranger des informations classées”.

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