TF1 a diffusé un reportage sur la répression de la liberté d'expression en Chine. Zeng Li, l'épouse du cyberdissident Huang Qi condamné à cinq ans de prison, y dénonce les tortures infligées à son mari et l'acharnement des autorités à son encontre.
Zeng Li, épouse du webmaster emprisonné Haung Qi, a accordé une interview exclusive à Patrick Poivre d'Arvor, présentateur du journal de la chaîne de télévision française TF1. Lors de cet entretien réalisé à Chengdu (sud-ouest de la Chine), elle a dénoncé les tortures infligées à son mari et l'acharnement des autorités à son encontre.
Des extraits de cet entretien ont été diffusés, le 20 novembre, dans un reportage du journal de 20 heures de TF1 sur les atteintes à la liberté d'expression en Chine.
Reporters sans frontières publie sur son site Internet l'intégralité de cet entretien. Zeng Li a accepté de confier son témoignage à un journaliste étranger malgré les risques encourus. Elle a dénoncé les violences subies par son époux : "Oui, il a été battu. Il a une longue cicatrice sur le front et une dent en moins (…) Une fois, il est tombé dans le coma pendant quelques jours après avoir été roué de coups. Des anciens codétenus m'ont précisé qu'ils l'avaient frappé sur les parties génitales." L'épouse de Huang Qi a expliqué à Patrick Poivre d'Arvor qu'elle redoutait que son mari ne soit pas libéré à la fin de sa peine : "Les dates et les délais prévus n'ont jamais été respectés." Zeng Li, qui n'a été autorisée à rencontrer son mari qu'une seule fois, en octobre 2003, reproche aux autorités pénitentiaires leur acharnement contre Huang Qi : "Il refuse d'arrêter d'écrire en prison donc les gardiens le frappent régulièrement. Je pense qu'il y a des ordres de la hiérarchie de le battre."
Huang Qi a été arrêté le 3 juin 2000, la veille du onzième anniversaire du massacre de la place Tiananmen (4 juin 1989), et inculpé en vertu des articles 103 et 105 du code pénal. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme pour "subversion". Les autorités reprochent au webmaster la publication sur son site Internet, hébergé aux Etats-Unis, d'articles sur le massacre de la place Tiananmen en juin 1989, écrits par des dissidents basés à l'étranger. A l'origine, Huang Qi avait créé un site pour diffuser des avis de recherche de personnes disparues en Chine.
Reporters sans frontières demande la libération de Huang Qi et des quarante-deux autres cyberdissidents chinois détenus pour leurs activités démocratiques sur Internet.
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Interview de Zeng Li, épouse de Huang Qi, par TF1 :
Patrick Poivre d'Arvor : Depuis quand votre mari est-il en prison ?
ZL : Il a été arrêté le 3 juin 2000, cela fait plus de trois ans.
PPDA : Combien de temps doit-il encore rester en prison ?
ZL : Selon le verdict de la cour, il a été condamné à cinq ans de prison, donc il doit y rester jusqu'au 4 juin 2005.
PPDA : Pensez-vous qu'il sera libéré à cette date ?
ZL : Je ne suis pas sûre car, depuis le début, toutes les dates et les délais prévus n'ont jamais été respectés (pause) Ils n'ont jamais respecté la procédure légale. Donc je ne peux pas dire s'il sera libéré quand la peine sera achevée.
PPDA : Avez-vous vu votre mari ?
ZL : Oui, je l'ai vu une fois. Ce jour-là, nous sommes allés à la prison, huit membres de notre famille. Au parloir, nous avons vu Huang Qi pendant 30 minutes. Nous parlions avec un combiné de téléphone. Alors que les autres prisonniers pouvaient parler en face à face et partager un repas avec leurs proches. Nous n'étions pas autorisés à cela. En plus, derrière Huang Qi, il y avait un gardien. Il y en avait un autre derrière nous. Avant notre rencontre, un gardien de la prison nous a dit que Huang Qi continuait à écrire pour demander un nouveau procès en appel. Le gardien nous a demandé d'essayer de le convaincre d'arrêter d'écrire. Quand nous lui avons parlé, nous lui avons demandé de cesser d'écrire ces documents. Nous l'avons fait car il y avait des gardes et notre conversation était enregistrée. Nous lui avons dit cela car nous étions inquiets de ne plus pouvoir le voir.
PPDA : Quels conseils votre mari vous a-t-il donnés ?
ZL : Lors de cette rencontre, mon mari a regretté que mon fils et moi soyons toujours en Chine. Il veut que nous trouvions un pays plus sûr. Bien qu'il ne reste plus qu'une année de prison, il a peur de ne pas être libéré à la fin de sa peine. Il veut que nous partions.
PPDA : Voulez-vous quitter la Chine ?
ZL : Si c'est possible. Je veux trouver un endroit plus sûr pour mon fils, pour qu'il puisse recevoir une éducation plus ouverte et civilisée.
PPDA : Voulez-vous que votre fils fasse quand il sera grand ?
ZL : J'espère qu'il travaillera dans un domaine scientifique. Je souhaite qu'il puisse vivre heureux dans son pays.
PPDA : Pensez-vous que la Chine deviendra un pays plus libre ?
ZL : J'espère que la Chine va s'améliorer.
PPDA : C'est dangereux pour vous de nous parler ?
ZL : Tout ce que je dis est vrai. Je suis simplement en train de vous dire ce qu'un Chinois peut dire. Je n'ai pas peur bien que je ne sache pas ce qui va se passer après cet entretien. Je pense que je dois exprimer mes opinions personnelles.
PPDA : Face à la caméra, que voulez-vous dire aux autorités chinoises à propos de votre mari ?
ZL : Je veux dire que la politique du gouvernement central est peut-être correcte, mais quand on parle du niveau local, de notre ville, les officiels ont des visions erronées. J'espère que le gouvernement va porter plus d'attention aux actions des fonctionnaires, surtout en ce qui concerne le respect des lois. Il ne faut pas juger les gens avec un point de vue partial.
PPDA : Pensez-vous que votre mari a fait quelque chose de mal ? A-t-il seulement critiqué la corruption ?
ZL : Je suis sûr que mon mari n'est pas coupable. Peut-être qu'il a critiqué certaines personnes mais cela ne veut pas dire qu'il soit coupable. Maintenant, en Chine, on parle de démocratie et de l'état de droit. Si nous sommes reconnus coupables seulement pour avoir exprimé nos points de vue, c'est impossible.
PPDA : Quel âge a votre fils ?
ZL : Mon fils a 12 ans. Il est en sixième.
PPDA : A son école, ses copains savent-ils que son papa est en prison ?
ZL : Maintenant, mon fils est dans une école privée. Il y a deux ans, j'ai eu des problèmes pour l'élever. J'ai souhaité le placer dans une famille pour qu'il profite de conditions meilleures pour grandir. Je ne voulais pas que ces problèmes l'affectent. Mais avec le soutien économique et spirituel de ma famille, j'ai réussi à garder mon fils et à le placer dans une école privée. Quand Huang Qi a été arrêté, la police m'a dit que si nous refusions de coopérer avec eux, mon fils et moi ne pourrions pas rester dans notre ville de Chengdu. Notre fils ne pourrait plus aller à l'école publique.
PPDA : Les responsables de l'école connaissent-ils vos problèmes ?
ZL : Nous essayons de cacher la situation de son père pour éviter que la vie de notre enfant soit affectée. Nous ne voulons pas qu'il perde la possibilité d'aller à l'école.
PPDA : Etes-vous en danger ? Vos communications sont-elles contrôlées ?
ZL : Je n'ai plus de vie privée. J'ai le sentiment de toujours être sous surveillance.
PPDA : Voulez-vous que nous allions à la prison où est détenu votre mari ? Ce serait utile ?
ZL : Je ne pense que ce soit un problème si vous vous présentez à la porte de la prison. Tout le monde peut aller où il veut. Oui, je pense que cela attirera leur attention sur la situation. Mais je ne sais pas si votre visite pourrait avoir des répercussions négatives sur lui.
PPDA : A-t-il été torturé ?
ZL : Oui, il a été battu. Il a une longue cicatrice sur le front, une dent en moins. Des anciens codétenus m'ont expliqué qu'il a été torturé, battu et sanctionné sévèrement. Une fois, il est tombé dans le coma pendant quelques jours après avoir été battu. Des codétenus et lui-même m'ont expliqué qu'il a été frappé aux parties génitales et qu'il a perdu beaucoup de sang. Depuis, il a de terribles migraines et il souffre beaucoup.
PPDA : D'autres prisonniers sont-ils torturés ?
ZL : Par rapport aux autres, les tortures sur Huang Qi sont plus sévères. Il refuse d'arrêter d'écrire donc les gardiens le frappent plus régulièrement. Je pense qu'il y a des ordres de la hiérarchie de le battre. Je me rappelle du jour où nous sommes allés au tribunal car nous avions entendu dire que Huang Qi allait être jugé. J'y suis allée avec mon appareil photo en espérant pouvoir prendre des photos de lui secrètement. J'ai pris quelques clichés, mais les gardiens m'ont vue. Ils sont devenus très nerveux car ils n'aiment pas voir les journalistes dans les tribunaux. Ils m'ont arraché l'appareil et ils l'ont confisqué. Ils m'ont expliqué que c'était les ordres.
PPDA : Sur quoi continue-t-il à écrire en prison ?
ZL : Il écrit sur la corruption des fonctionnaires, sur ses tortures en prison, sur ses espoirs de plus de démocratie en Chine, et sur le droit des citoyens à s'exprimer librement.
PPDA : Réussi-t-il à faire sortir des lettres ?
ZL : Pour une partie de ses textes, il a demandé aux gardiens de les envoyer, ce qui est autorisé par la loi. Mais certains ont refusé et il y a même eu des tensions entre eux sur cette question. Les plus durs lui ont demandé d'arrêter d'écrire et l'ont frappé. Mais grâce à ses amis dans son ancienne prison, j'ai pu récupérer certains de ses textes. Je ne reçois pas tout car certains articles ont du être confisqués.
PPDA : Vous pouvez nous montrer ?
ZL : Ce sont des lettres de lui, mais également ses commentaires sur des livres qu'il a lus.
PPDA : Ces textes, il les a écrits en prison ?
ZL : Ces documents contiennent sa vision des choses et ses opinions.
PPDA : Peut-il lire en prison ?
ZL : Avant, il lisait beaucoup de livres. Il aime lire. En prison, il a eu accès à des livres de droit et c'est pour cela qu'il écrit des articles sur ces questions.
PPDA : Et cela, qu'est-ce que c'est ?
ZL : Ce sont des articles qu'il a écrits avant son arrestation. Je les garde. J'ai également écrit des lettres et des textes pour le défendre juridiquement.
PPDA : Avez-vous reçu des lettres de lui ?
ZL : Je n'ai jamais reçu les lettres qu'il a écrites sous son vrai nom. De la même manière, il n'a jamais reçu mes lettres. En revanche, il a fait sortir des lettres sous un faux nom et elles sont arrivées.
PPDA : Et celle-ci, elle est écrite par votre fils ?
ZL : C'est une lettre écrite par mon fils à son père à l'occasion de Noël, l'année de son arrestation. Mais nous n'avons pas réussi à la lui envoyer, donc nous l'avons gardée.
PPDA : Votre fils peut-il nous la lire ?
Weixuan : "Cher papa. La nouvelle année va commencer. Je te souhaite une bonne année. A l'occasion de Noël, je veux t'annoncer des bonnes nouvelles. Mon bulletin scolaire est l'un des meilleurs de ma classe. Mêmes les garçons plus âgés n'ont pas d'aussi bonnes notes. En mathématiques, au premier trimestre du CM1, j'ai été le meilleur et j'ai décidé de travailler encore plus dur. Au second semestre de CM2, j'ai eu 99 points sur 100 à mon examen, et l'année suivante 100 points. Je suis toujours le meilleur de ma classe. Pour les langues, je suis second. Maman et les grands parents sont très contents de ces résultats. Bien que mes résultats en anglais ne sont pas encore très bons. Je vais travailler cette matière et avoir de bons résultats. Je te souhaite de joyeuses fêtes et une bonne santé."
ZL : Il l'a écrite le premier Noël après son arrestation, mais nous l'avons gardée car nous ne savions même pas comment lui envoyer. Les autres documents sont des convocations de la police et des documents de la justice.
PPDA : Que souhaiterait dire votre fils à votre mari s'il pouvait le voir à travers l'écran.
Weixuan : Je veux dire, papa, j'espère que tu vas sortir bientôt car je ne t'ai pas vu depuis longtemps. J'espère que nous aurons bientôt des réunions de famille. Je lui souhaite une bonne santé et des meilleures conditions de détention.
PPDA : Penses-tu que ton père est courageux ?
Weixuan : Je pense que ce qu'il a fait est bien et je ne sais pas pourquoi ils l'ont arrêté.
PPDA : Merci beaucoup.