Reporters sans frontières salue la décision de justice rendue, le 8 juillet 2014, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), condamnant les autorités turques pour avoir maintenu en détention provisoire, les journalistes Nedim Sener et Ahmet Sik, pendant plus d’un an sans motif “pertinent” ou “suffisant”. RSF demande à nouveau l'abandon des charges qui pèsent contre eux.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a une nouvelle fois sanctionné Ankara pour avoir violé la Convention, pourtant ratifiée par la Turquie en 1954. Elle a reconnu les autorités turques
coupables d’avoir maintenu abusivement en détention provisoire les journalistes d’investigation
Ahmet Sik et
Nedim Sener. Elle a condamné Ankara condamné à verser aux deux requérants respectivement 10 000 et 20 000 euros pour dommage moral.
Les deux journalistes ont été
incarcérés, le 5 mars 2011, soupçonnés d’avoir aidé le réseau ultranationaliste Ergenekon à fomenter un coup d’Etat. Alors qu’ils
dénonçaient l’instrumentalisation de cette affaire par les autorités pour décimer les rangs de l’opposition et les voix indépendantes, ils ont été officiellement accusés d’“appartenir à une organisation terroriste”. Après avoir passé plus d’
un an en prison, les deux journalistes ont été
remis en liberté provisoire le 12 mars 2012.
La CEDH a déclaré les autorités turques coupables d’avoir enfreint “le droit à la liberté et à la sûreté” (article 5 § 3 de la Convention) des deux requérants en les maintenant pendant plus d’un an en détention provisoire “en l’absence de motivation détaillée”. La Cour souligne qu’il a été principalement reproché à Ahmet Sik et Nedim Sener d’“exercer une pression sur les autorités judiciaires chargées d’une enquête criminelle”. Or, selon le code de procédure pénale turque, cette infraction ne justifie pas une mise en détention provisoire. Les autorités turques sont également reconnues coupables d’avoir empêché la défense d’accéder à certains documents.
La CEDH a dénoncé la violation de la liberté d’expression et le caractère dissuasif de l’incarcération préventive, suscitant un “climat d’autocensure pour tous les journalistes d’investigation” enquêtant sur les organes étatiques.
“
Cette décision est un pas vers la justice longtemps attendu pour Ahmet Sik et Nedim Sener”, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. “
Elle reconnaît le caractère absurde et abusif de leur détention et l’onde de choc ressentie par tous leurs collègues. Encore une fois, la CEDH souligne à raison les abus structurels de la justice turque, toujours encline aux réflexes sécuritaires malgré les récentes réformes.”
L’arrestation arbitraire d’Ahmet Sik et de Sedim Sener avait marqué un véritable tournant dans l’affaire Ergenekon et soulevé
une vague de protestation inédite en Turquie, comme à l’étranger. Elle est devenue symbolique de l’attitude paranoïaque de la justice vis-à-vis des médias et des abus systématiques de la détention préventive. Reporters sans frontières a consacré un
rapport d’enquête à cette affaire en juin 2011 et
assisté à la plupart des audiences du procès.
Ahmet Sik et Sedim Sener sont toujours poursuivis pour avoir révélé des informations d’intérêt public sur l’affaire Ergenekon. Ils risquent jusqu’à quinze ans de prison. RSF souligne que la CEDH a invalidé “les crimes graves de terrorisme” dont sont accusés Ahmet Sik et Nedim Sener. En déclarant qu’il leur est principalement reproché des délits de diffamation, et en les distinguant des “crimes d’appartenance ou d’assistance à une organisation terroriste”, la Cour confirme l’absurdité des charges portées contre les deux journalistes. En ce sens, RSF demande une fois de plus l’abandon de toutes les poursuites à leur encontre.
Ahmet Sik a été récompensé en mai 2014 par le Prix mondial de la liberté de la presse Unesco/Guillermo Cano 2014. Nedim Sener a de son côté été lauréat en 2010 de l’Institut international de la presse.
La Turquie occupe la 154e place sur 180 dans le
Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Lire le rapport d’enquête de RSF :
Médias et justice en Turquie : "Un livre n’est pas une bombe !" (16.06.2011)