Kirghizistan : Japarov dans les pas de Poutine pour cibler la presse indépendante

Le parlement kirghiz s’apprête à voter une loi sur les médias façonnée par l’administration du président Sadyr Japarov, prenant comme modèle la législation russe. Ce texte met en danger l’existence de la presse indépendante dans un pays jusqu’ici considéré comme une oasis de relative liberté en Asie centrale. Alarmée par l’essaimage d’avatars des lois liberticides russes dans les pays de l’ex-URSS ces derniers mois, RSF appelle les députés kirghizes à voter contre ces deux lois.

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Le parlement kirghiz doit voter avant la pause estivale une loi sur les médias largement copiée sur la loi russe. Encore plus restrictif que les quatre versions précédentes, le texte prévoit notamment d’obliger tous les médias à s’enregistrer auprès du ministère de la Justice ou du ministère du Développement numérique. C’est le gouvernement, via une procédure complexe, qui pourra valider ou rejeter leur demande. Les médias non enregistrés, considérés illégaux, ne pourront pas obtenir d’accréditations. Des formulations vagues évoquant “l’abus de liberté d’expression” ou encore le respect “des valeurs morales traditionnelles” ouvrent la porte à des interprétations diverses et à la censure. 

Directement inspirée d’une loi russe sur les “agents étrangers” utilisée pour faire pression sur les médias, une autre loi, sur les ONG, doit être votée en parallèle. Elle limitera la couverture des activités des ONG, au risque sinon de poursuites pénales jusqu’à dix ans d’emprisonnement pour “propagande”.

L’épidémie de lois liberticides qui sévit depuis plusieurs mois autour d’une Russie malade frappe durement le Kirghizistan. Si la liberté d’expression était sa “priorité absolue” comme il l’a encore affirmé le 5 mai dernier, le président Japarov n’aurait pas proposé cette nouvelle loi sur les médias qui renforce son contrôle sur la presse. RSF appelle le parlement à rejeter ce texte et celui sur les ONG qui feraient basculer le pays dans le camp des régimes autoritaires mené par Vladimir Poutine.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

La presse indépendante kirghize, la plus développée et plurielle d’Asie centrale, affronte un danger sans précédent. Vent debout contre ce projet de loi, elle a obtenu la création d’un groupe de travail sur le texte composé entre autres de journalistes, mais en vain : des modifications anecdotiques ont été apportées et l’administration présidentielle n’a pas changé de ligne. “Nous comprenons qu'il sera impossible de travailler : soit vous devenez un outil de propagande pour les autorités et vous ne citez que les communiqués de presse officiels des organes de l'État, soit après chacune de vos publications, vous devez vous attendre à ce qu'une affaire pénale soit ouverte contre vous ou qu’on annule l’enregistrement de votre média”, témoigne Dina Maslova, directrice du média en ligne indépendant Kaktus.media

Les conséquences dramatiques de cette législation inspirée de la Russie peuvent déjà être observées en Azerbaïdjan, par exemple. Le régime d’Ilham Aliev impose à tous les médias et journalistes de s’enregistrer auprès des autorités depuis début 2022 : une quarantaine de rédactions ayant essuyé un refus sont désormais dépourvues d’accréditation et leur activité considérée illégale est devenue passible de poursuites judiciaires. D’autres gouvernements ont été séduits par la loi russe sur les “agents étrangers” dont s’inspire le projet de loi kirghiz sur les ONG. C’est le cas en Géorgie, où des manifestations massives et la pression internationale ont finalement poussé les autorités au retrait du texte.

La Russie entraîne ainsi une partie de ses voisins dans sa chute dans les abysses du Classement mondial de la liberté de la presse de RSF, dont l’édition 2023 a vu le Kirghizistan s’effondrer à la 122e place sur 180 pays. Les attaques contre les médias se sont multipliées depuis le virage autoritaire du président Japarov, qui a fait voter une réforme constitutionnelle en 2021 peu après son arrivée au pouvoir. Son mandat a été marqué entre autres par une nouvelle loi sur la désinformation violant la Constitution et le droit international, l’expulsion illégale en Russie du journaliste d’investigation Bolot Temirov et la fermeture administrative de Radio Azattyk (service local du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty). 

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