Judith Miller et Matthew Cooper ont une semaine pour révéler leurs sources s'ils veulent éviter la prison
Judith Miller et Matthew Cooper (photo) n'ont plus qu'une semaine pour révéler à la justice leurs sources dans l'affaire Plame. Faute de quoi, les deux journalistes iront en prison pour une durée de 18 mois. Le verdict final sera rendu le 6 juillet.
Reporters sans frontières s'alarme de la décision prise par la Cour suprême des Etats-Unis, le 27 juin 2005, de ne pas statuer sur les cas de Judith Miller, du New York Times, et Matthew Cooper, du Time, condamnés chacun par la justice fédérale à 18 mois de prison pour avoir refusé de révéler leurs sources d'information. Les deux journalistes ne disposent plus d'aucun recours judiciaire et risquent dès à présent d'être incarcérés. « En refusant de statuer sur les cas de Judith Miller et Matthew Cooper, la Cour suprême vient d'infliger un double revers. D'abord aux deux journalistes, qui n'ont plus aucun moyen de se défendre et peuvent se retrouver à tout moment en prison au seul motif d'avoir protégé leurs sources. Ensuite à l'ensemble des médias car cette décision rétrograde et liberticide porte un coup sévère au secret professionnel, un fondement indispensable de la liberté d'expression. En l'état de la procédure, nous exhortons la justice américaine à dispenser les deux journalistes de purger leur peine. Nous appelons également le Congrès américain à voter au plus vite les propositions de loi, présentées parallèlement au Sénat et à la Chambre des représentants en février dernier, qui reconnaissent aux journalistes le privilège du secret des sources au niveau fédéral », a déclaré Reporters sans frontières. Judith Miller et Matthew Cooper avaient refusé de révéler leurs sources d'information à une chambre spéciale, chargée d'enquêter sur les fuites ayant abouti à la publication dans la presse de l'identité d'un agent de la CIA, Valerie Plame. Dans cette affaire, la Maison Blanche était soupçonnée d'avoir livré le nom de Mme Plame, en représailles contre son mari, l'ambassadeur Joseph Wilson, qui avait publiquement contredit les arguments du président Bush en faveur de la guerre en Irak. Judith Miller, pour le New York Times, avait enquêté sur cette affaire, mais ne lui avait finalement consacré aucun article. Matthew Cooper, dans l'édition du Time du 17 juillet 2003, avait seulement mentionné que « des agents du gouvernement » avaient donné à la presse le nom de Mme Plame. Poursuivis pour « outrage à la cour » en raison de leur refus de révéler leurs sources à la justice, les deux journalistes avaient été condamnés en premier instance par un juge fédéral, le 20 juillet 2004. Le juge s'était fondé sur une jurisprudence de la Cour suprême datant de 1972 (Branzburg vs Hayes), selon laquelle le secret des sources n'est pas couvert par le premier amendement de la Constitution fédérale. Les journalistes ne pourraient donc s'en prévaloir devant un tribunal. Pour forcer Judith Miller et Matthew Cooper à s'exécuter, le juge avait dicté en octobre suivant à leur encontre des ordres d'incarcération. Ces ordres n'avaient pas pris effet, les deux journalistes ayant fait appel. Le 15 février 2005, la cour d'appel fédérale de Washington avait entériné, en comité restreint, la décision rendue en première instance. Les avocats des deux journalistes avaient alors obtenu que cette même cour d'appel se réunisse en grand jury. Le 19 avril, le grand jury réuni avait néanmoins confirmé les peines et les ordres d'incarcération. Les journalistes avaient obtenu un ultime sursis en décidant de se pourvoir devant la Cour suprême. En refusant de se prononcer, la Cour suprême a donc décidé de maintenir sa jurisprudence de 1972. Ce statu quo fait problème, car si le privilège du secret des sources n'est pas reconnu aux journalistes au niveau fédéral, des « lois boucliers » (shields laws) qui le leur garantissent sont appliquées dans 31 Etats de l'Union et à Washington D.C. C'est en vertu d'une « shield law » en vigueur dans l'Etat de New York que Judith Miller avait obtenu gain de cause, le 24 février 2005, dans une autre affaire de secret des sources. Désormais, seul le législateur peut combler cette grave lacune juridique en instaurant une « loi bouclier fédérale ». Le 2 février 2005, deux membres de la Chambre des représentants, Mike Pence (républicain, Indiana) et Rick Boucher (démocrate, Virginie) ont déposé une proposition de loi intitulée « Loi sur la liberté de circulation de l'Information », qui garantit aux journalistes le privilège absolu (« absolute privilege ») de ne pas avoir à révéler leurs sources. Le texte prévoit qu'un journaliste ne pourra être convoqué devant une juridiction fédérale qu'en dernier recours. Le texte prévoit également un privilège qualifié (« qualified privilege ») pour les notes, e-mails, négatifs et tous documents professionnels auxquels les cours fédérales n'auront accès que si ces pièces s'avèrent essentielles dans des affaires pénales. Une proposition de loi rédigée dans les mêmes termes a été introduite au Sénat, le 9 février, par Richard Lugar (républicain, Indiana), auquel s'est associé Christopher Dodd (démocrate, Connecticut). Le 28 avril, lors d'une conférence de presse commune, les deux représentants et les deux sénateurs ont assuré que leurs discussions sur le sujet avec le Département de la Justice et la Maison Blanche avaient été « constructives ». Néanmoins, le Département de Justice a refusé de prendre publiquement position sur ces propositions de loi. Les quatre parlementaires réclament toujours qu'elles soient inscrites à l'ordre du jour de leurs assemblées respectives. Reporters sans frontières s'est jointe, avec d'autres organisations, le 18 mai, à l'un des amici curiae (acte de pétition) pour soutenir les deux journalistes devant la Cour suprême.