Iuliia Berezovskaia, journaliste et #SpoilerForFreedom
Je m’appelle Iuliia Berezovskaia, je suis journaliste russe. Je vais vous raconter comment s’est manifestée la fin de la liberté de la presse dans mon pays et pourquoi je me suis exilée en France.
Dans mon cas, la fin de la liberté de la presse, c’est d'abord une armée de trolls qui envahit notre site internet Grani.ru... Puis les pressions deviennent moins virtuelles : nos reporters sont systématiquement interpellés et harcelés par la police lors des manifestations.
Enfin notre pire ennemi, aussi puissant que caricatural, entre en scène : le Roskomnadzor, l'agence de contrôle des médias. Son travail, financé par nos impôts, consiste à empêcher les Russes de lire ce qu’ils veulent. Le Roskomnadzor exige que nous retirions de notre site “l’Icône Pussy Riot“, un article sur une initiative de militants sibériens, ou encore la Une de Charlie Hebdo. Et les autorités finissent par bloquer tout le site et des centaines de nos sites miroirs.
On voit nos collègues céder à la censure et à l’autocensure. Même les plus courageux n’osent plus citer le titre d'un poème interdit en soutien à l’Ukraine ou le slogan “Poutine, bourreau de Beslan”, entonné par les mères des enfants massacrés en 2004. Le mot "annexion" est proscrit pour évoquer la Crimée. Certains vont jusqu'à retirer de leurs pages notre vidéo d’un rassemblement contre la guerre ou à supprimer les liens vers notre site.
Aujourd’hui la répression bat son plein, par des moyens judiciaires et extrajudiciaires. Il s’agit pour les autorités de stigmatiser les dissidents, de les marginaliser et de polluer l’espace de discussion. C’est une guerre "hybride", comme toutes les guerres menées par les hommes du KGB.
En Russie, nous avons laissé les libertés se faire écraser au nom de la lutte contre le terrorisme et l'"extrémisme", devenu synonyme de toute dissidence. Les piliers du monde occidental s’avèrent trop fragiles face à cette rhétorique poutinienne, toxique et efficace. Les attaques contre la démocratie à l’échelle globale font de nous tous des militants, parfois contre notre gré. La liberté d’expression est au cœur de cette bataille.