Italie : RSF appelle les sénateurs à rejeter une proposition de loi susceptible d’empêcher les journalistes de révéler des affaires judiciaires

Le Sénat doit examiner une proposition d’amendement au Code de procédure pénale qui interdit la publication d’une ordonnance de détention provisoire jusqu’à la fin de l’audience préliminaire. Reporters sans frontières (RSF) appelle les sénateurs italiens à la rejeter : elle menace la liberté d’informer des journalistes qui travaillent sur les affaires judiciaires.

Les journalistes d’investigation ou couvrant les sujets police-justice sont inquiets. Un amendement au Code de procédure pénale italien, qualifié par certains professionnels de l’information de “legge bavaglio” (“loi bâillon”), doit être examiné par le Sénat après avoir été adopté par la chambre basse le 19 décembre dernier. Il prévoit “l’interdiction de publication, intégrale ou partielle, du texte de l'ordonnance de détention provisoire jusqu'à la clôture de l'enquête préliminaire ou jusqu'à la fin de l'audience préliminaire” sans exception pour les journalistes qui couvrent des affaires judiciaires. 

Proposé par le député Enrico Costa du parti d’opposition de centre-gauche Azione, l'amendement entend lutter contre le “tribunal médiatique” et protéger la présomption d'innocence. Mais plusieurs associations et syndicats de journalistes italiens dénoncent, quant à eux, une potentielle “censure d’État” et menacent de lancer une grève générale

Si la loi est votée au Sénat, elle interdira à toutes personnes, dont les journalistes professionnels, de publier le texte d’une ordonnance de détention provisoire – comprenant les motifs de la détention et les éventuelles saisies, écoutes, auditions etc. – avant le début du procès. En conséquence, les professionnels de l’information seront tenus uniquement à l’interprétation du texte, en des termes très généraux, pour expliciter les motifs d’un placement en détention provisoire. L’impossibilité d’apporter des citations exactes exposera les journalistes, respectant la présomption d’innocence, à des poursuites en diffamation. 

L’inquiétude est d’autant plus grande pour les journalistes italiens que plusieurs affaires de corruption à grande échelle et de crimes organisés ont pu être révélées grâce à l’accès à ces documents judiciaires et les matériels afférents. C’est ce que rapportent plusieurs journalistes italiens à RSF en citant notamment l’affaire de corruption au Parlement européen de fin 2022 dite du Qatargate.

“Une ombre plane sur la liberté de la presse en Italie. Si RSF reconnaît l’importance primordiale de respecter la présomption d'innocence, nous craignons que la ‘legge bavaglio’ entrave la capacité des journalistes à informer sur les enquêtes judiciaires impliquant, entre autres, des responsables politiques. Il est inacceptable que les reporters qui informent dans l’intérêt général et respectent la déontologie journalistique soient sanctionnés ou contraints de se taire. Nous demandons aux sénateurs de rejeter l’amendement au Code de procédure pénale en l’état et d’y intégrer des garanties de protection des journalistes contre des poursuites.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans de RSF

Motifs juridiquement infondés

Pour justifier l’adoption de cette législation, ses partisans avancent que l’amendement est nécessaire pour “assurer la conformité pleine et entière avec la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016” sur la présomption d'innocence. Une obligation de transposition juridiquement infondée. En outre, la Fédération nationale de la presse en Italie (FNSI) et certaines associations régionales de la presse et des comités de rédaction arguent que la proposition de loi “va au-delà des dispositions européennes et viole l'article 21 de la Constitution” selon lequel “la presse ne peut être soumise à des autorisations ou à des censures”.

L’Italie occupe la 41e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.

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