Intrusion dans les locaux d’une chaîne, arrestations, sites censurés : la répression des talibans contre les médias s’intensifie en Afghanistan
Alors que plusieurs journalistes ont récemment été arrêtés, les talibans ont organisé une descente imposante dans les locaux d’une chaîne de télévision à Kaboul. Alarmée par l’intensification de la répression contre les journalistes, Reporters sans frontières (RSF) demande au régime des talibans de libérer les journalistes et de respecter la liberté d’informer.
Mise à jour du 20/02/23 :
Le journaliste de la chaîne de télévision ToloNews Mohammad Yaar Majroh a finalement été libéré le 19 février après six jours de détention. Trois autres journalistes afghans sont toujours derrière les barreaux.
Kaboul, 16h20, le mardi 14 février. Des journalistes de la chaîne de télévision indépendante Tamadon TV s’apprêtaient à quitter leurs bureaux, lorsqu’une dizaine de talibans armés a fait irruption, prenant le personnel en otage pendant plus de trente minutes. Après avoir discuté avec le responsable de la chaîne de télévision, les assaillants sont finalement repartis en confisquant deux véhicules. Mais ils ont cependant menacé de revenir et “la vie des journalistes de Tamadon est sérieusement en danger”, craint un employé qui a confié à RSF qu’il ne vivait plus chez lui. Les raisons de cette descente restent inconnues à ce jour, mais le personnel a été frappé, insulté, accusé d’être “des infidèles hazaras” qui diffusent “des informations contraires aux intérêts de l'Émirat Islamique”.
“La violente intrusion dans les locaux de Tamadon TV et l’agression de son personnel sont des actes d’intimidation très préoccupants. Avec l’arrestation récente de trois journalistes et la fermeture de deux sites d’information, la répression contre les journalistes s’intensifie encore. Les autorités talibanes doivent cesser cette escalade et respecter, comme ils s’y sont engagés, la loi sur les médias qui garantit la liberté d’informer. Nous les appelons en tout premier lieu à libérer tous les journalistes actuellement détenus.
Ce n’est pas la première fois que la chaîne de télévision subit de telles pressions. Le régime taliban l’avait déjà avertie que ses publications et programmes devaient respecter les valeurs islamiques définies par les talibans et éviter de les critiquer. Au cours du dernier ramadan, du 2 avril au 2 mai 2022, les services secrets avaient ordonné à Tamadon TV de cesser la diffusion de ses films et de ses séries.
Arrestations et censure
Le raid de Tamadon TV s’inscrit dans le cadre plus général d’une intensification de la répression contre les professionnels de l’information. Après l’arrestation, le 11 novembre 2022, du journaliste de Zarghoon TV à Khost Qotratullah Tarar, trois autres journalistes ont été arrêtés ces dernière semaines : Mohammad Yaar Majroh, reporter de ToloNews, l’une des principales chaînes de télévision du pays, le 14 février, Khairullah Parhar, de la chaîne de radio et télévision Enikass, dans la province de Nangarhar, le 9 janvier, deux jours après l’arrestation du reporter franco-afghan Mortaza Behboudi.
La semaine dernière, la Radio Azadi, la branche afghane de Radio Free Europe/Radio Liberty, ainsi que Voice of America ont annoncé que l’accès à leurs sites web avaient été bloqués par l'autorité de régulation des télécommunications. Les deux radios avaient été retirées des ondes en décembre dernier.
Un paysage médiatique réduit de moitié
L’arrivée des talibans au pouvoir a eu un effet dévastateur sur le paysage médiatique afghan. Plus de la moitié des 526 médias actifs dans le pays au cours des deux dernières décennies ont été forcés de fermer leurs portes depuis la prise de la Kaboul. La presse écrite est désormais contrôlée entièrement par les talibans et près de la moitié des radios ont cessé leurs activités. Sur les 30 portails d’information en ligne que comptait l’Afghanistan avant août 2021, près de 60 % ont mis la clé sous la porte et la plupart d’entre eux ont dû s’exiler.