Interdiction d’accès, visas raccourcis, permis refusés… RSF dénonce une escalade des mesures de rétorsion envers les correspondants étrangers en Inde
L'administration indienne instrumentalise la procédure d’obtention de visas et de permis de travail pour maintenir dans l’incertitude les correspondants étrangers ou les empêcher d’exercer leur métier. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités indiennes de mettre un terme à ces procédures arbitraires et de permettre aux correspondants de poursuivre sans entrave leur mission d’informer.
Menacée d’expulsion en janvier 2024 pour “articles malveillants et critiques”, la journaliste française Vanessa Dougnac est également privée depuis dix sept mois du droit de travailler en Inde. Son permis de travail en tant qu’OCI (Overseas Citizens of India : permis de résidence accordé à vie aux étrangers d’origine indienne et aux conjoints de citoyens indiens) lui avait été refusé en septembre 2022, sans aucune justification, alors même qu’elle couvrait le pays depuis vingt ans pour plusieurs médias francophones, tels que La Croix, Le Soir et Le Point. Ce dossier est loin de constituer un cas isolé. À ce jour, quatre journalistes OCI établis en Inde se sont vu refuser leur permis d’exercer, dont deux ont choisi de quitter le territoire.
“Le cas de Vanessa Dougnac a mis en lumière l’instrumentalisation du processus de délivrance de visas ou de permis de travail pour exercer une pression sur les journalistes étrangers, voire les empêcher totalement d’exercer. Dans un contexte où la liberté de la presse est en train de sombrer, où ne subsistent plus que quelques médias réellement indépendants, c’est un outil de plus dans l’arsenal répressif du gouvernement de Narendra Modi pour tenter de contrôler l’information et l’image de son régime. RSF dénonce cette instrumentalisation inacceptable des procédures administratives pour entraver la liberté de la presse, et appelle le gouvernement indien à permettre aux correspondants étrangers de travailler sereinement, sans l'épée de Damoclès d’être privé du droit d’exercer pour avoir simplement fait leur travail d’informer.
Un permis de travail de plus en plus difficile à obtenir
En 2019 déjà, le journaliste Aatish Taseer s’était vu privé de son statut OCI après avoir publié un article sur Narendra Modi dans le Time Magazine. Il lui est désormais interdit de séjourner en Inde où il a grandi et où vit sa famille. Mais c’est en 2022 que les conditions d’exercice pour les journalistes étrangers détenteurs de cartes OCI se sont grandement dégradées. Les autorités ont décidé cette année-là d’imposer une autorisation spéciale pour travailler en tant que journaliste, à renouveler chaque année auprès du Bureau régional d'enregistrement des étrangers (FRRO, Foreigners Regional Registration Office). Un permis qui peut être refusé de manière totalement arbitraire, et sans justification.
En août 2022, le journaliste du média américain Vice, Angad Singh a été expulsé vers les États-Unis dès son arrivée en Inde, malgré sa carte OCI, en raison d’un documentaire diffusé en 2020, jugé “négatif” par les autorités indiennes, l’accusant de s’être “livré à une propagande anti-nationale flagrante pour diffamer le pays”.
Quant aux correspondants étrangers qui ne disposent pas du statut OCI, ils doivent demander un visa journaliste, qui est accordé en théorie pour une durée d’un an. Là encore, les conditions de cette délivrance sont arbitraires, et les visas ne sont parfois accordés que pour une durée de deux, trois ou six mois, maintenant les journalistes dans une situation précaire de perpétuelle procédure de renouvellement, et sous la menace de se voir opposer un refus.
L’accès à l’ensemble du territoire restreint
Les journalistes étrangers n’ont également plus la possibilité d’accéder à une dizaine d’États et de territoires de l’Union, en particulier le Jammu Cachemire, dont l’ensemble du territoire est désormais inaccessible depuis 2019. L'accès à ces zones est soumis à des permis spéciaux, et les demandes d’autorisation pour s’y rendre n’aboutissent quasiment jamais. Des processus administratifs dans l’impasse, qui entravent un peu plus la couverture du pays.
L’Inde occupe la 161e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2023 par RSF.