Depuis la transition démocratique amorcée en 1998, des centaines de médias indépendants ont vu le jour, faisant du pays un pionnier en la matière en Asie du Sud-Est. Ils peinent cependant à répondre aux besoins des 275 millions d’Indonésiens, répartis sur 12 000 îles et parlant plus de 800 langues locales. L'immensité et la diversité du pays font du respect de la liberté de la presse un combat quotidien.
Paysage médiatique
Durant le long règne du président Suharto, de 1966 à 1998, la liberté de la presse était inexistante. Aujourd’hui, on estime à une centaine de milliers le nombre de journalistes dans le pays. Plus de 300 journaux d’information sont publiés, tel le quotidien de référence Kompas, ou l'hebdomadaire Tempo, qui s’est construit une réputation solide dans le journalisme d’investigation. La télévision est une source d’information majeure, avec de nombreux réseaux privés comme Indosiar, la SCTV ou Metro TV, qui concurrencent, au niveau national, les chaînes publiques de la Televisi Republik Indonesia (TVRI). Compte tenu du grand isolement géographique de certaines populations, la radio joue un rôle déterminant dans la transmission des informations. On compte plus de 3 000 stations qui diffusent des émissions dans une vingtaine de langues, en plus du bahasa indonesia, la langue nationale.
Contexte politique
Les élections générales de 2024 constituent un moment crucial pour la liberté de la presse. Malgré un programme réformateur, les dix années au pouvoir du président sortant Joko Widodo ont été marquées par une série de promesses non tenues en matière de liberté de la presse. De plus, son second mandat a mis en lumière ses concessions aux forces armées ultra-conservatrices, connues officiellement sous le nom de Tentara Nasional Indonesia (TNI). Celles-ci empêchent soigneusement la presse de couvrir leur brutale répression des manifestations séparatistes dans les trois provinces qui composent la Papouasie – la moitié indonésienne de l'île de Nouvelle-Guinée, qui demeure un trou noir de l'information où les journalistes ne peuvent pas travailler.
Cadre légal
La loi sur la presse promulguée en 1999 a permis de mettre un terme aux pratiques de censure et de contrôle de l’information de l’ère Suharto, et de créer le Dewan Pers, un conseil de la presse indépendant du gouvernement, à même de régler à l’amiable la plupart des litiges liés aux médias. Les journalistes doivent néanmoins composer avec la loi Informasi dan Transaksi Elektronik (ITE), qui criminalise la diffamation et les discours de haine – sans que ces notions soient clairement définies – pour lesquels les journalistes encourent six ans de prison. L’adoption d’un nouveau Code pénal, en décembre 2022, fait peser de nouvelles menaces sur le libre exercice du journalisme, avec plusieurs dispositions relatives au blasphème et des articles censés lutter contre les “fausses informations” qui, en l’état, mettent sérieusement en péril le journalisme d’investigation.
Contexte économique
Une dizaine de grands groupes, comme Global Mediacomm (MCM), Jawa Pos Group (JPG) ou Kompas Gramedia Group (KGG), se partagent l’essentiel du marché des médias grand public. Déjà volatile, celui-ci a été fragilisé par les conséquences de la crise du coronavirus, qui a conduit au licenciement de nombreux journalistes : 20 à 30 % de la masse salariale pour plus de la moitié des médias. La radio, qui nécessite des investissements plus légers, est le média dans lequel les Indonésiens ont le plus confiance. La presse en ligne, pour sa part, souffre d’une faible capitalisation publicitaire, qui se traduit par un niveau d'exigence journalistique largement perfectible.
Contexte socioculturel
Plus grand pays musulman du monde et berceau de la tolérance religieuse, l’Indonésie subit la pression grandissante de certains mouvements islamiques radicaux. C’est particulièrement vrai dans la province autonome d’Aceh, dans l’ouest de l’archipel, où est imposée une version très stricte de la charia, et où une police des mœurs dicte ce que les journaux peuvent publier ou non. Dans le reste du pays, l’influence de certains oulémas empêche les journalistes d’aborder certains sujets tabous, comme les questions des communautés LGBT, l’apostasie ou le mariage des mineures.
Sécurité
Les journalistes qui enquêtent sur des cas de corruption locale sont régulièrement visés par des actes d’intimidation de la part de la police ou des militaires de la TNI, qui peuvent aller jusqu’à l’arrestation ou des actes de violence. Il en résulte un niveau élevé d’autocensure. De même, il est de plus en plus dangereux de couvrir certaines questions environnementales lorsqu’elles portent atteinte à de grands intérêts privés soutenus par les administrations locales.