Inde : Rana Ayyub, figure emblématique de l’ampleur du cyberharcèlement contre les femmes journalistes

Éditorialiste du média américain le Washington Post, Rana Ayyub est régulièrement la cible de violentes campagnes de dénigrement en ligne. Entre divulgation de ses données personnelles sur Internet (doxxing), menaces, et fausses rumeurs, la journaliste indienne de renom est ciblée de toutes parts.  Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités indiennes de mettre un terme définitif à ce harcèlement odieux, en ne laissant pas impunis de tels actes, et à la plateforme X de prendre en compte les signalements et de remplir son devoir de modération.

En une nuit, celle du 8 novembre dernier, Rana Ayyub a reçu plus de “200 appels et des messages obscènes” confie-t-elle à RSF. Quelques minutes auparavant, le compte @HPhobiaWatch, géré par un influenceur anonyme affilié à la mouvance suprémaciste hindoue de l’hindutva (qui utilise le pseudonyme Hindutva Knight, ou “chevalier de l’hindutva”) avait publié sur le réseau social X le numéro de téléphone personnel de Rana Ayyub, incitant ses followers à la harceler. 

À l’issue de cette première vague de harcèlement, la capture d’écran d’un deepfake pornographique de la journaliste indienne a été diffusée sur les réseaux sociaux. Puis, d’autres comptes liés à la même mouvance nationaliste ont divulgué les documents d’identité et les mots de passe des comptes bancaires et des réseaux sociaux de la journaliste. Des rumeurs mensongères et des tweets  lui attribuant de faux propos ont également été diffusés.

La journaliste de 40 ans, éditorialiste pour le quotidien américain le Washington Post depuis 2018 a déposé une plainte le 9 novembre auprès de la police de la cybercriminalité de Bombay, comportant l’identité de l’auteur du premier tweet haineux et administrateur des comptes @HPhobiaWatch et @TheSquind sur X, révélée par une enquête du média de fact checking Alt News. Selon Alt News, celui-ci aurait travaillé étroitement avec le parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), au poste d’analyste de contenu, chargé des réseaux sociaux du parti. Contactée par RSF, la police affirme que l’enquête est en cours, sans arrestation à ce stade. 

“Au lendemain de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, RSF condamne le cyberharcèlement violent dont est victime Rana Ayyub. La journaliste indienne est devenue le symbole de l’acharnement en ligne contre la presse indépendante et contre les femmes journalistes. Comme elle, des dizaines d’autres journalistes indiens ou exerçant en Inde font l’objet de telles campagnes d’intimidation et de haine provenant majoritairement de réseaux coordonnés par l’extrême droite nationaliste. La journaliste est victime depuis des années d’attaques, sous la forme de harcèlement, de désinformation et de procédures judiciaires abusives. Les autorités indiennes ont connaissance de ces violentes agressions à travers les plaintes déposées et RSF les tient responsables de la sécurité de la journaliste. La police de Bombay doit faire aboutir au plus vite l’enquête sur ces actes de doxxing et de harcèlement, et les auteurs doivent être traduits en justice sans délai. Il revient aussi à X de prendre en compte les signalements émis par la journalistes, qui sont, à ce jour, restés sans réponse, et de remplir son devoir de modération.

Célia Mercier
Bureau Asie du Sud de RSF

Comment fait-on pour humilier et réduire au silence une femme qui refuse de céder ? On tente d’attaquer sa personnalité, d’outrager sa pudeur, de la rendre craintive à l’idée d’utiliser les réseaux sociaux, de propager des rumeurs sur sa moralité et le mythe qu’elle coucherait pour obtenir ses histoires, le plus vieux stéréotype qui existe, s’insurge Rana Ayyub sur le réseau social Instagram le 17 novembre. Écoutez-moi, bande de malades, je ne vais nulle part. Merci de m’avoir fait réaliser que mon travail a un impact, que mes mots vous effraient, que mon existence défie votre lâcheté et votre haine.”

Surveillance et intimidation

La journaliste indienne raconte à RSF avoir aussi fait l’objet d’entraves dernièrement alors qu’elle effectuait un reportage dans l’État de Manipur en octobre 2024. Elle assure avoir été sans cesse suivie “jusque dans les toilettes” par des personnes s’étant présentées comme des agents de renseignements locaux. “Ils ont interrogé les propriétaires de mon hôtel, cherchant à obtenir des détails sur ma présence.” La situation est devenue particulièrement préoccupante lorsque ses sources ont commencé à se sentir menacées. “La moitié des personnes que je devais rencontrer ont refusé par crainte pour leur sécurité, a expliqué Ayyub. Comment peut-on faire du journalisme quand on est surveillé de manière si intense ? »

Autrice du livre-enquête, Gujarat Files, qui dévoile la complicité des institutions de l'État dans les émeutes de 2002, Rana Ayyub est victime de vagues successives de harcèlement judiciaire, numérique et physique depuis plusieurs années.

En octobre 2024, RSF a publié le rapport Le journalisme à l’ère MeToo révélant notamment l’ampleur du cyberharcèlement comme moyen de répression pour faire taire les femmes journalistes à travers le monde.

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