Hanin Gebran, libérée des geôles d'al-Assad en Syrie : “Les conditions d’enfermement des journalistes étaient horribles, et bien pires pour une femme”

Emprisonnée durant près de six mois dans des conditions inhumaines, jusqu’à la chute de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024, la journaliste Hanin Gibran a repris la plume dans un pays transformé, mais où son indépendance de femme journaliste continue d’être un combat. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Reporters sans frontières (RSF) réclame justice pour les professionnelles de l’information persécutées par l’ancien pouvoir.

Attablée dans un café du Vieux Damas, la journaliste Hanin Gebran parle sans crainte de ses enquêtes réalisées lors des dernières années de la dictature de Bachar al-Assad, dans une clandestinité que l’on croirait déjà lointaine. Pour les médias d’opposition en exil Syria Monitor et Syria TV, la reporter âgée de 26 ans a notamment infiltré des sociétés de production iraniennes installées à Damas, la capitale, ou encore enquêté sur le détournement de l’aide destinée aux familles des combattants pro-régime, blessés ou morts, des Forces de défense nationale.

L’extrême sensibilité des sujets traités par l’enquêtrice n’a pas échappé à la surveillance de l’ex-dictature syrienne. “Celui qui véhicule des idées est bien plus dangereux à leurs yeux que celui qui porte les armes”, souligne-t-elle. Le 23 juin 2024, alors qu’elle travaille dans un cybercafé de la capitale, Hanin Gibran est enlevée par des jeunes hommes et femmes en civil dans un fourgon banalisé. La journaliste sera par la suite incarcérée et torturée dans l’une des prisons politiques les plus redoutées du pays, située sur la base aérienne de Mazzeh, à Damas, et contrôlée par les services de renseignement de l’armée de l’air.

“Le courage et la détermination de la journaliste d’investigation Hanin Gibran imposent le respect. Le témoignage de ses conditions de détention inspire l’effroi et la révolte. Jamais une telle tragédie ne doit être rendue banale, en dépit de l’ampleur de la répression qui a frappé les journalistes durant la dictature de Bachar al-Assad. RSF salue le travail de la journaliste et réclame justice pour les atrocités subies au cours de sa détention. RSF continue d’enquêter afin d’identifier les responsables des mauvais traitements infligés lors de ses interrogatoires et poursuit sa lutte contre l'impunité de tous les crimes commis contre les journalistes par l'ancien régime.

Martin Roux
Responsable du bureau Crises de RSF

Les femmes journalistes victimes des pires conditions de détention

La cruauté des geôliers de la journaliste semble sans limites. Durant près de six mois de détention, Hanin Gibran raconte avoir subi quasi quotidiennement des interrogatoires violents où nuls sévices ne lui sont épargnés. Elle est battue, soumise à des châtiments corporels, privée de nourriture. “J’étais sur le point de mourir”, décrit-elle, au sujet d’une grave hémorragie causée par ces violences. Ses tortionnaires la transfèrent dans la prison de Qatana, puis d’Adra, en périphérie de Damas, où elle est transfusée.

“Les conditions d’enfermement étaient horribles pour les journalistes. Et pour une femme, elles étaient bien pires que pour les hommes, témoigne auprès de RSF Hanin Gibran. Les insultes à caractère sexuel des codétenus et des inspecteurs me blessaient aussi bien sur le plan psychologique que moral, bien davantage que les coups et la torture”.

Cyberharcelée et remise en question

Depuis sa libération, le 8 décembre 2024, à la faveur de la chute du régime, la reporter découvre un pays transformé, mais où le poids de son indépendance continue d’être lourd à porter. Alors qu’elle a coupé toute relation avec sa famille, en raison du soutien de son père et de son frère à l’ancienne dictature, Hanin Gibran fait face depuis plusieurs semaines à une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Des utilisateurs dénoncent l’affiliation de ses proches avec l’ancien régime et appellent les médias qui l’emploient à cesser toute collaboration. “Hanin n’avait plus de lien avec sa famille et vivait même seule, assure le directeur et propriétaire du site d’information Syria Monitor Eyas al-Mohammad. Elle a tout mon soutien et nous continuerons de travailler avec elle en tant que correspondante à Damas”.

“Dans le secteur des médias dominé par les hommes, nous sommes confrontées à des tentatives pour faire taire les femmes journalistes et les invisibiliser”, dénonce Hanin Gibran. Mais ces attaques n’y changent rien, la journaliste a abandonné la clandestinité contrainte durant l’ex-régime pour devenir l’un des visages de Syria TV.

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