Guinée: les médias privés sous pression
Le pouvoir guinéen accentue sa pression contre les médias privés. En moins d’une semaine, deux radios ont été empêchées de diffuser et plus d’une dizaine de journalistes blessés lors d’affrontements avec les forces de l’ordre. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de ces tentatives de réduire au silence les voix critiques du pays.
La HAC accuse la radio Espace FM d’avoir violé des dispositions de la Loi Fondamentale et de la Loi Organique portant sur la liberté de la presse, “pour avoir simplement rappelé que l’armée manquait de moyen et d’équipements et que cela pourrait être compliqué en cas de crise” explique Kalil Oularé, le directeur du groupe Hadafo Média, qui comprend une télévision, deux radios à Conakry, et trois relais en région.
“Suspendre une radio qui n’a fait qu’évoquer un fait connu de tous est une sanction inédite en Guinée et totalement incompréhensible, dénonce Reporters sans frontières. Cette décision est d’autant plus inquiétante qu’elle survient quelques jours après les violences inacceptables dont ont été victimes des journalistes qui s’étaient simplement mobilisés pour soutenir un de leur confrère, arrêté sur la base d’accusations sans fondement. Ces incidents dénotent d’une inquiétante propension des autorités à vouloir réduire au silence des médias connus pour leur ton libre et critique,” précise encore l’organisation de défense de la liberté de la presse.
L’ensemble de la presse guinéenne avait vivement réagi en début de semaine à l’arrestation arbitraire du directeur général du groupe privé de radio et télévision Gangan. Abdoubabacar Camara avait été interpellé le 30 octobre avec trois autres journalistes de son groupe de presse, au prétexte d’avoir contribué à propager de fausses rumeurs sur le décès du président guinéen. La diffusion, pendant le week-end, par la radio Gangan de musique funèbre suite au décès d’un de ses journalistes avait été à l’origine des rumeurs sur la disparition d’Alpha Condé.
Pour soutenir leur confrère maintenu en garde à vue, de nombreux journalistes se sont massés mardi 31 octobre devant le poste de gendarmerie PM3 de Matam, à Conakry. Alors qu’ils refusaient de quitter les lieux, les gendarmes ont violemment chargés les journalistes. Dix-huit d’entre-eux ont été blessés. Trente cinq journalistes ont vu et leur matériel de reportage et leur téléphone détruits.
Depuis ces violents incidents, le caméraman de la télévision Gangan qui a filmé les affrontements fait l’objet de menaces quotidiennes et vit dans la peur. Les ondes de la radio Gangan sont par ailleurs toujours brouillées par l’Agence de régulation des postes et télécommunications, l’ARPT.
La présidente de la Haute Autorité de la Communication, Martine Condé, qui n’a pas de lien familiaux directs avec le président, a notamment été sa directrice de campagne lors de l’élection présidentielle de 2010.
Une bonne partie de l'opinion guinéenne prête au président Alpha Condé l’intention de vouloir, en toute illégalité, réviser la constitution pour briguer un troisième mandat. L'intéressé ne s'est lui-même jamais prononcé sur ce sujet. Mais la chape de plomb qui s’abat ces derniers jours sur les médias privés est interprétée, à tort ou à raison, par une partie de la population comme un signe supplémentaire de cette volonté. Le mandat actuel d’Alpha Condé doit s’achever à la fin décembre 2020.
La Guinée occupe la 101e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse, établi par RSF en 2017.