Guerre en Ukraine : une campagne de harcèlement contre les journalistes ukrainiens dans les zones occupées

Depuis le début du conflit en Ukraine, l’armée russe cible les journalistes et les médias locaux dans les territoires conquis afin d’empêcher le travail d’information et de diffuser le plus largement possible la propagande du Kremlin. Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement ces enlèvements et ces actes d’intimidation et appelle les autorités russes à cesser de harceler les journalistes ukrainiens.

Enlèvements, menaces de mort, disparitions… Alors que le conflit en Ukraine entame son deuxième mois, les forces armées russes redoublent d’inventivité pour faire plier les journalistes ukrainiens. Dernier méfait en date : la prise d’otage du père de la journaliste Svitlana Zalizetska, âgé de 75 ans, le 23 mars. La condition de sa libération ? Que sa fille, directrice du principal journal de la ville de Melitopol (sud-est), Golovna Gazeta Melitopola, et du site d’information RIA-Melitopol se présente à l’armée russe. La journaliste redoute que les occupants de la ville exigent sa collaboration ou l’arrêt de son site d'information. 

 

L’armée russe n’en est pas à sa première prise d’otage. Le 8 mars, à Berdiansk, ville côtière à 120 kilomètres de Melitopol, elle a pris d’assaut un bâtiment abritant la radio Novosti Berdiansk, le journal Berdyanskiye Vedomosti, ainsi qu’une chaîne de télévision locale, Youg TV. En quelques minutes, les soldats ont pris le contrôle des ondes radios, de la chaîne de télévision, puis, plus tard, de la chaîne Telegram et du compte Instagram de Novosti Berdiansk, retenant en otage une cinquantaine de collaborateurs des médias présents dans les locaux.

 

“Ils nous ont proposé de coopérer en échange d’un salaire et de nourriture mais personne n’a accepté, témoigne un journaliste auprès de RSF, sous couvert d’anonymat. Pendant plus de cinq heures, ils nous ont menacé avec leurs armes, ils ont essayé de nous expliquer pourquoi ils attaquaient notre pays, ils ont dit que la guerre n’était pas contre les civils mais contre les nazis en Ukraine et que les Russes étaient là pour nous protéger.” 

 

Terré chez lui par peur des représailles, ce journaliste et l’un de ses collègues ont été roués de coups et menacés de mort par des soldats russes. Depuis cette prise d’otage, les ondes de Novosti Berdiansk diffusent la propagande du Kremlin appelant les Ukrainiens à déposer les armes. L’accès au site web du média, l’un des plus visités de la région avant le début de la guerre, est bloqué.

 

“Après le bombardement de tours de télévision et les tirs contre des voitures siglées “Presse”, ces prises d’otage illustrent la détermination des autorités russes à censurer toute information contrevenant à leur propagande militaire, déplore la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Nous condamnons fermement ces actes d'intimidation et demandons aux autorités russes de cesser de cibler les journalistes. Elles devront répondre de leurs actes devant la justice internationale.”

 

Témoignages forcés et enlèvements

 

Quand l’armée russe ne retient pas en otage des journalistes, elle les enlève. Le 12 mars, la journaliste de Hromadske Radio, Viktoria Rochtchina a disparu à Berdiansk. Elle a été relâchée le 22 mars, après avoir été contrainte d’enregistrer une vidéo affirmant que les forces armées russes “lui avaient sauvé la vie” et qu’elle avait été “bien traitée”. Le journaliste Oleg Batourine et un fixeur de Radio France qui souhaite garder l’anonymat, ont été enlevés respectivement à Kakhovka (région de Kherson) et près de Kyiv, et torturés par les forces russes avant d’être libérés.

 

Les journalistes dans les territoires occupés reçoivent aussi parfois des “visites” des forces russes et sont temporairement détenus. Le 21 mars à Melitopol, ce sont trois journalistes de Melitopolskie Vedomosti - Ioulia Olkhovskaïa, Lioubov Tchaïka, Mikhaïlo Koumok - et la rédactrice en cheffe Evgenia Boriane, qui ont été arrêtés à leur domicile et emmenés de force vers une destination inconnue avant d’être relâchés quelques heures plus tard. 

 

Également dans la région de Kherson, les forces russes ont menacé de mort la correspondante de l’agence de presse nationale Ukrinform, Irina Staroselets, qui participe activement à la couverture du conflit : “les Russes ne cessent de m’appeler et de m’expliquer ce qu’ils vont me faire”. Les militants pro-russes peuvent aussi être à l’origine des menaces. Début mars, ils ont publié sur internet le numéro de téléphone portable, l’adresse et les données du passeport d’Anastasia Volkova, journaliste pour la chaîne télé LOT, dans la région de Lougansk et ont appelé à la punir pour avoir critiqué le Kremlin.

 

Depuis le début de la guerre, la diffusion des médias locaux a été bloquée complètement ou temporairement dans au moins six villes occupées ou sous pression de l’armée russe, comme Melitopol, Vinnytsia ou Kherson, selon l’Institute of Mass Information (IMI), partenaire local de RSF qui comptabilise au total 70 médias locaux forcés de stopper leur activité, dans un rapport publié le 24 mars. Quand ce n’est pas encore le cas, les médias – tels que Pushkinskaya, Media-Inform, Reporter, Third Digital, Dumskaya, 048, Volnorez, all.news – reçoivent des lettres anonymes les appelant à “abandonner les activités anti-russes” pour avoir une “chance d’être sauvé”. L’armée russe a également bombardé une dizaine de tours de radio-télévision depuis le début du conflit. RSF apporte son soutien aux journalistes ukrainiens réfugiés à l’ouest du pays, dans le Centre pour la liberté de la presse ouvert à Lviv, et a déposé deux plaintes auprès du procureur de la Cour pénale internationale contre ces attaques constitutives d’un crime de guerre. 

 

A ce jour, 5 journalistes ont été tués dans le cadre de l’exercice de leur profession et 9 blessés par des tirs. L'Ukraine se situe à la 97e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2021 de RSF. La Russie occupe la 150e position.

Publié le
Updated on 25.03.2022