Géorgie : mort suspecte d’un journaliste lynché six jours plus tôt par des militants homophobes
Aleksandr Lachkarava est mort six jours après avoir été grièvement blessé alors qu’il couvrait des contre-manifestations d’extrême-droite homophobes. Reporters sans frontières (RSF) demande au gouvernement de mener une enquête impartiale, approfondie et transparente sur les circonstances de la mort du caméraman.
C’est sa mère qui l’a retrouvé mort dans son lit, dimanche matin. Aleksandr (Lekso) Lachkarava, caméraman pour la chaîne d’opposition géorgienne Pirveli TV, avait subi une opération en urgence le 5 juillet pour des fractures faciales et une commotion cérébrale, après avoir été attaqué comme 52 autres journalistes lors d’un reportage sur des contre-manifestations à la marche des fiertés à Tbilissi, la capitale.
Aleksandr Lachkarava et Miranda Bagatouria s’apprêtaient à filmer dans les locaux d’une ONG lorsque la foule a fait irruption dans le bureau. “Qu’est-ce que vous faites, nous sommes journalistes !”, s’est écrié le caméraman quand un prêtre orthodoxe a commencé à attraper sa collègue par les cheveux. Lynché par une vingtaine d’extrémistes homophobes, Aleksandr Lachkarava baignait dans une mare de sang. “Nous étions sans défense, il n’y avait qu’un policier, incapable de nous aider”, a raconté Miranda Bagatouria à la presse locale. Seuls cinq de leurs assaillants ont été arrêtés pour le moment.
Le ministère de l’Intérieur a ouvert une enquête pour “incitation au suicide” afin de déterminer les causes exactes de la mort du journaliste. Lors d’un point presse dimanche après-midi, un porte-parole du ministère a laissé entendre qu’elle était peut-être due à une overdose de stupéfiants. Le ministère de la Santé a de son côté lancé une enquête sur la qualité des services médicaux dans la clinique dans laquelle il a été soigné. Aleksandr Lachkarava est sorti de l’hôpital le 8 juillet.
La famille, qui ne fait pas confiance au gouvernement, a tenté de s’opposer en vain à l’enlèvement du corps pour un examen médico-légal. Certains de ses membres affirment que le nez d’Aleksandr saignait et soupçonnent une thromboembolie liée à ses blessures.
“Après l’attaque coordonnée d’une cinquantaine de journalistes, la mort suspecte d’Aleksandr Lachkarava marque un tournant calamiteux pour la liberté d’informer en Géorgie, estime la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Plutôt que de tenter de discréditer le caméraman décédé, nous demandons au ministère de l’Intérieur une enquête impartiale, approfondie et transparente sur les circonstances de sa mort et sur les agressions subies par les journalistes que la police a échoué à protéger. La passivité des autorités devant cette tentative extrême d’intimidation des journalistes par des mouvements homophobes entame la crédibilité du gouvernement , qui ne doit laisser aucune place à l’impunité, et assumer sa part de responsabilité dans cette affaire.”
Les journalistes ont rapporté le manque criant de forces de l’ordre et dénoncé leur passivité lors des contre-manifestations à la marche LGBT+ prévue initialement le 5 juillet avant d’être annulée en raison des risques pour les participants. Dimanche 11 juillet dans l’après-midi, des milliers de manifestants se sont rassemblés devant le parlement à Tbilissi, pour demander la démission du Premier ministre, Irakli Garibachvili. Plusieurs journalistes et collègues d’Aleksandr Lachkarava ont pris la parole à la tribune pour mettre le gouvernement face à ses responsabilités dans la mort de leur confrère. “Les journalistes sont toujours venus sur cette place pour couvrir des rassemblements. Mais le gouvernement géorgien, étape par étape, nous a menés au point qu'aujourd'hui, nous organisons une action de protestation ici”, a notamment rappelé une présentatrice de Pirveli TV, Diana Trapaïdze.
Si le Premier ministre a déploré sur Facebook “une tragédie incroyable”, seule la présidente Salomé Zourabichvili, qui s’est rendue dans la famille d’Aleksandr Lachkavara pour exprimer ses condoléances, a clairement condamné la violence et défendu publiquement le droit à la liberté d’expression, garanti par la constitution géorgienne.
En tête de la région Europe de l’Est et Asie centrale, la Géorgie occupe la 60e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF.