France : RSF devant le tribunal après une plainte en diffamation du fils de l’ancien président malien, Karim Keïta

Le responsable du bureau investigation de Reporters sans frontières (RSF), Arnaud Froger, comparaîtra mardi 17 décembre devant la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, après des accusations de diffamation formulées par Karim Keïta, le fils de l’ancien président malien. Le nom de cet ancien cacique de la politique malienne est cité dans l’enquête de RSF concernant la disparition du journaliste Birama Touré à Bamako en 2016. C’est la troisième fois que Karim Keïta poursuit un journaliste en lien avec cette affaire.

Mise à jour du 17/12/2024

Au cours de l’audience, le parquet a requis la nullité de la plainte intentée par Karim Keïta contre le responsable du bureau investigation de RSF Arnaud Froger, suivant les arguments des avocats de RSF qui avaient relevé l’absence d’imputation de faits précis. La plainte porte en effet sur l’intégralité des propos tenus, alors même que de nombreuses parties de la vidéo de RSF incriminée ne concernent par l’auteur des poursuites. La 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris a mis sa décision en délibéré et rendra son jugement le 20 février 2025.  

“RSF, qui lutte sans relâche contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, ne se laissera pas intimider par ces poursuites qui n’ont d’autre but que de dissuader les journalistes qui s’intéressent de près à cette affaire d’enquêter sur la disparition de Birama Touré. Il s’agit de l’un des dossiers d’enquête les plus documentés de l’organisation ces dernières années. Nous défendrons notre travail et poursuivrons nos investigations avec la conviction qu’elles contribuent à la manifestation de la vérité.

Thibaut Bruttin
Directeur général de RSF

“L’audience qui s’annonce sera l’occasion pour RSF de restituer devant la justice toute l’ampleur du travail d’investigation effectué par Arnaud Froger depuis six ans. Les débats devant le tribunal correctionnel de Paris permettront d’établir le sérieux du travail d’enquête réalisé. Le tribunal sera ainsi éclairé sur les raisons pour lesquelles Monsieur Karim Keïta tente de faire taire tous ceux qui cherchent la vérité dans la disparition du journaliste Birama Touré.  Il me semble en effet que l’action en diffamation engagée par Monsieur Karim Keïta est l’exemple parfait de la procédure bâillon abusive. Il s’agit par l’intimidation de tenter de faire taire celles et ceux qui travaillent à la manifestation de la vérité. En l’occurrence, contrairement à ce que Monsieur Karim Keïta tente de dissimuler, ce dernier est bien impliqué personnellement dans la disparition de Monsieur Birama Touré. Nous avons confiance dans la justice française pour sanctionner cette procédure en diffamation abusive, mais aussi pour établir les responsabilités pénales de ceux qui ont concouru à sa disparition.

Emmanuel Daoud
Avocat de RSF

Au tout début de cette enquête, il y a un doute. Un gros doute sur la thèse officielle. Celui d’une disparition volontaire du journaliste malien Birama Touré, qui se serait évaporé dans la nature dans la soirée du 29 janvier 2016, après avoir rempli les formalités administratives de son mariage dans la même journée. C’est la conclusion de l’enquête préliminaire menée début 2016 par la gendarmerie malienne. Une thèse qui ne repose sur rien. Une enquête bâclée, orientée même.

RSF documente quotidiennement les exactions commises contre les journalistes. Ils ne disparaissent pas. Ils sont enlevés, arrêtés, parfois tués ou assassinés.

Il n’aura fallu que quelques jours à Bamako, en mai 2018, pour que RSF identifie les nombreux manquements de cette enquête officielle concernant Birama Touré, journaliste au Sphinx, un journal d’investigation qui ne comptait pas que des amis sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Pour ses proches, impossible qu’il se soit enfui, surtout en laissant l’ensemble de ses effets personnels à son domicile. Plus troublant encore, ses relevés d'appels téléphoniques, communiqués par l’opérateur, ont été caviardés. Une opération de dissimulation qui n’est pas à la portée du premier venu.

Que s’est-il passé ? Qui pouvait lui en vouloir ? Qu’est-il devenu ? RSF a enquêté minutieusement pendant plusieurs années sur cette affaire. En 2020, le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, tombe. Son fils, qui dirige la puissante commission Défense de l’Assemblée nationale, prend la fuite et se réfugie en Côte d’Ivoire. Certaines voix se libèrent. 

Un an plus tard, la justice malienne, restée atone sur l’affaire Birama Touré sous le régime d’IBK, annonce l’émission d’un mandat d’arrêt international contre Karim Keïta et l’arrestation de l’ex-directeur des services secrets maliens en lien avec cette affaire. Des annonces qui corroborent les informations obtenues par RSF jusque-là, notamment celles d’un témoin jugé crédible affirmant avoir passé plusieurs mois aux côtés de Birama Touré dans les geôles de la direction générale de la sécurité d’État (DGSE). RSF publie alors sa première enquête sur cette affaire.

Pas de réponse à nos questions mais une plainte en diffamation 

Quelques mois plus tard, en novembre 2021, nouvelle mission à Bamako. RSF y recueille plusieurs témoignages qui viennent étayer et préciser certains des faits déjà établis. Au moment de sa disparition, le journaliste enquêtait sur une affaire de mœurs et une affaire de détournement de fonds concernant Karim Keïta. Les preuves de sa détention et de sa séquestration à la sécurité d’État sont désormais multiples, ainsi que l’identité de l’homme à l’origine de son calvaire, selon plusieurs témoins ayant partagé la cellule du journaliste. L’un d’entre eux affirme également avoir vu plusieurs des personnes inculpées dans la procédure malienne, dont Karim Keïta, présentes le jour où le corps sans vie de Birama Touré aurait été transporté en dehors de son lieu de détention. 

Fort des nouvelles informations obtenues, RSF contacte à nouveau les avocats de Karim Keïta avant la publication de sa nouvelle enquête en janvier 2022. Ces sollicitations sont restées sans réponse, à l’exception d’une seule précisant ne pas vouloir échanger à nouveau sur ce sujet car RSF aurait ses “convictions”. L’organisation avait alors répondu que ses investigations n’étaient pas fondées sur des convictions mais sur des éléments collectés à confronter. Les questions concernant Karim Keïta resteront sans réponse.

Trois journalistes poursuivis par Karim Keïta depuis 2016

L’enquête est publiée le 30 janvier 2022. Une déclinaison vidéo dans laquelle le responsable du bureau investigation de RSF et Adama Dramé, l’ancien directeur de publication de Birama Touré, reviennent sur cette affaire, est publiée dans la foulée, le 3 février 2022. C’est cette vidéo qui fait l’objet de la plainte en diffamation déposée par Karim Keïta et ses conseils.

Si Karim Keïta poursuit les journalistes -Adama Dramé, directeur de publication du Sphinx, à Bamako, et Vincent Hugeux, ex grand reporter de L'Express à Paris- qui ont enquêté sur cette affaire, il n’a jamais répondu aux accusations dont il fait l’objet dans l’enquête pénale ouverte au Mali. La justice malienne avait annoncé l’émission d’un mandat d’arrêt international qui n’a jamais été exécuté. En décembre 2022, Karim Keïta a été placé sous sanctions du département du Trésor américian, notamment pour son rôle dans le meurtre présumé du journaliste.

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