Fake News : arme de destruction de la presse indépendante pour le pouvoir burundais

Depuis quelques jours, une polémique a éclaté sur le Net après la publication d’un article erroné du Guardian sur les “fake news”. Le papier voulait illustrer le combat des journalistes burundais en exil et dénoncer la stratégie d'instrumentalisation de l’information par le gouvernement burundais. Il est en réalité devenu un instrument dans la guerre de manipulation que le gouvernement burundais livre à ses opposants.

Dans un article paru le 1er mars 2017, sur le site Afrique du Guardian, la journaliste Rossalyn Warren interviewe trois journalistes burundaises en exil au Rwanda et décrit leur travail au sein du réseau SOS Média Burundi.


Problème : SOS Média Burundi n’a aucun journaliste en exil au Rwanda et les journalistes interrogées travaillent pour un autre média en ligne, Humura. Ce média est une émanation en exil de la très populaire Radio publique africaine (RPA) fermée définitivement depuis avril 2015 par le régime de Pierre Nkurunziza. SOS Média Burundi en revanche est un réseau constitué au lendemain du putsch de mai 2015, de journalistes qui sont toujours dans le pays et fonctionnent, comme décrit dans l’article, en silo, et dans le secret afin de protéger la sécurité de leurs correspondants.


La journaliste a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur et qu’elle a confondu les deux médias en rédigeant son papier. Le nom du média pour lequel travaillent les journalistes a été modifié le 4 mars mais l’article est toujours inexact puisqu’il continue d’attribuer le fonctionnement de SOS Média Burundi à la radio en ligne Humura. SOS Médias Burundi a publié dans la foulée, le 5 mars un communiqué désavouant l’article du Guardian.


L'affaire aurait pu s'arrêter là, si le pouvoir burundais n'avait pas cherché à l'exploiter en sa faveur, le contrôle de l'information dans le pays étant devenu un enjeu crucial depuis 2015.


Tempête dans la twittosphère


L’article a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et de fait, mis en danger les journalistes de SOS Média Burundi, qui se retrouvent aujourd’hui attaqués de toute part.


Les journalistes au Burundi se sont sentis menacés car cet article les associait au Rwanda. Une carte de visite dangereuse quand on connaît les relations actuelles plus que tendues entre les deux voisins.


Mais surtout l’article erroné du Guardian et le démenti de SOS Média Burundi font les choux gras des propagandistes du gouvernement. Le conseiller en communication de la présidence, Willy Nyamitwe, n’a pas manqué de transformer l’erreur de la journaliste en “mensonges”, alimentant ainsi la théorie gouvernementale d’une presse internationale partisane et du “complot international” contre le Burundi.



D’autre part, des trolls sur Twitter utilisent le démenti publié par SOS Média Burundi contre l’article du Guardian pour arguer que les journalistes du réseau et leur coordinateur, Eloge Willy Kaneza, soutiennent le gouvernement burundais dans sa dénonciation de la presse internationale. Une accusation particulièrement dommageable pour ces journalistes qui s’attachent quotidiennement à faire voir la vérité du terrain au Burundi.



Depuis 2015 et alors que 360 000 ressortissants burundais ont déjà pris la fuite (un chiffre du UNHCR, contesté par le gouvernement burundais), toute déclaration ou information est immédiatement interprétée comme pour ou contre le régime. L’espace nécessaire à une pensée critique, mesurée et objective se réduit de jour en jour. Le but du pouvoir en place est d’imposer une narration unique des événements.



Un pluralisme de façade


Cette tendance a commencé en avril 2015 avec l’interdiction de la RPA , l’une des principale voix critique du régime. Elle a atteint son paroxysme avec la fermeture forcée des autres radios indépendantes en mai 2015, l’exil de nombreux journalistes, les violences et harcèlements graves et répétés contre ceux qui continuaient de travailler dans le pays, jusqu’à la disparition toujours non élucidée de l’un d’entre eux, Jean Bigirimana, en juillet 2016.


Le gouvernement burundais est devenu conscient que cette chasse aux journalistes et aux médias lui portait préjudice aux yeux de la communauté internationale, dont il a besoin pour financer le budget de l’Etat.


Il a alors tenté de faire rouvrir certaines des radios indépendantes fermées, notamment Isanganiro et Radio Bonesha. La manoeuvre a réussi pour l’une. En mars 2016, Isanganiro a pu émettre à nouveau, à la condition de signer un “Acte d’engagement” limitant grandement sa liberté éditoriale. Depuis, le directeur de la radio reçoit régulièrement des appels de l’administration Nkurunziza pour décourager les reportages sur certains sujets. Des instructions sont transmises au niveau de la rédaction, freinant la liberté de travail des journalistes, dont beaucoup ont maintenant recours à l’auto-censure pour se protéger.


Le pouvoir en place a même créé de nouveaux médias, tels que Buja FM et le journal Ikihiro (“Ce qui est” en Kirundi). Des médias qui ne traitent ni des questions de sécurité ni de violence dans le pays. La dénonciation des exactions et des violences quotidiennes revient soit aux médias en exil, “Ennemis de la nation” selon le pouvoir, ou aux deux médias encore présents sur place comme Iwacu ou SOS Média Burundi. Mais ces derniers,s’en tiennent, pour se protéger, aux informations factuelles, toute mise en perspective ou analyse critique entraînant des représailles.


Les débats politiques et autres analyses se sont déplacés sur les réseaux sociaux. Une situation dans laquelle, l’information est régulièrement tronquée, manipulée et où le choix de la formule et la virulence des propos remplacent trop souvent l’information objective et d’intérêt générale.


Le Burundi occupe la 156ème place au Classement 2016 de la liberté de la presse établi par RSF.


Publié le
Updated on 07.03.2017