Exclusif : la Cour suprême grecque tente d’enterrer une enquête clé sur un scandale de surveillance massive visant des journalistes
Il y a trois ans, le journaliste Stavros Malichudis découvrait que les services de renseignement grecs l’espionnaient – une affaire qui a marqué le début du scandale de surveillance “Predatorgate”. Reporters sans frontières (RSF) révèle qu’une décision judiciaire récente paralyse l’enquête et protège les responsables de cette surveillance. L’organisation appelle le procureur adjoint de la Cour suprême grecque à justifier son refus d’accorder à Stavros Malichudis l’accès à son dossier et à garantir une enquête rapide et efficace.
Le 24 octobre dernier le procureur adjoint de la Cour suprême grecque, Achilleas Zisis, a rejeté de manière définitive la demande de Stavros Malichudis d’accéder au dossier de l’enquête sur sa surveillance par le Service national de renseignement grec (EYP). Ce refus a été communiqué par une simple note manuscrite sur le document de demande d’accès, dont RSF a obtenu une copie. Cette note ne fournit aucune justification substantielle pour cette décision, rendue près de trois ans après que cette surveillance arbitraire a été révélée. Elle se contente de déclarer que le journaliste n’était “pas une victime directe”. Lauréat du prix du journalisme du Parlement européen de 2023, Stavros Malichudis se retrouve désormais sans recours pour contester ce refus et avec peu d’espoir que justice soit rendue.
“C’est exactement la manière dont quelqu’un qui chercherait à enterrer l’enquête sur la surveillance arbitraire de Stavros Malichudis agirait. Nous appelons le procureur adjoint de la Cour suprême grecque à expliquer sa décision de refuser à Stavros Malichudis l’accès au dossier de son enquête et à garantir une enquête rapide et efficace. Cette attaque contre la protection des sources des journalistes – une pierre angulaire de la liberté de la presse – ne doit pas rester impunie. L’Europe vous regarde, M. Achilleas Zisis.
La surveillance de Stavros Malichudis, alors qu’il couvrait des sujets liés à la migration, a été révélée le 13 novembre 2021 lorsque le site d’actualités Efimerida Ton Syntakton (Efsyn) a divulgué un document de l’EYP révélant que ce dernier avait espionné le journaliste pour identifier ses sources. Peu après, un cas similaire impliquant le journaliste spécialisé dans la finance Thanasis Koukakis a été révélé. Désormais connu sous le nom de “Predatorgate”, le scandale a concerné une dizaine de journalistes et de hauts responsables des médias, ciblés par le logiciel espion Predator ou d’autres formes de surveillance. Des enquêtes récentes ont également mis en lumière l’existence d’un centre de contrôle de l’EYP responsable de ces opérations. Les méthodes utilisées pour espionner Stavros Malichudis restent, elles, floues.
Le 30 juillet, la Cour suprême grecque a décidé de ne pas poursuivre l’EYP ni les responsables de la surveillance politique des services de renseignement, malgré les nombreuses enquêtes journalistiques révélant leur implication dans la surveillance illégale de journalistes et des responsables politiques.
“Les services de renseignement jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’État, mais leurs actions doivent être strictement encadrées, a déclaré l’avocat de Stavros Malichudis, Dimitris Georgakopoulos. Selon lui, l’affaire Malichudis illustre une grave atteinte à la liberté de la presse : même des journalistes menant des enquêtes légitimes et rencontrant des sources peuvent être surveillés en tant que des ‘menaces à la sécurité nationale’ sans qu’aucune charge ne soit retenue, ni qu’ils aient connaissance des détails de leur surveillance. Personne n’est tenu responsable, et les journalistes n’ont pas accès à leur propre dossier, brouillant les lignes entre sécurité nationale et surveillance illégale des citoyens”, déplore-t-il.
Le traitement du dossier de Stavros Malichudis
Malgré une plainte déposée en février 2022 pour exiger que des comptes soient rendus, Stavros Malichudis a dû affronter des obstacles procéduraux sans précédent. En général, les enquêtes judiciaires se concluent soit par des poursuites, soit par un classement avec justification. Mais le dossier de Stavros Malichudis reste ouvert, sans résolution, et la victime se voit refuser l’accès aux documents de son propre dossier. Ces anomalies procédurales soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à la sincérité de l’enquête.
Bien que la plainte ait été déposée directement auprès de la Cour suprême en raison de l’intérêt public en jeu, elle a rapidement été transférée au bureau du procureur de première instance, ce qui a ralenti et compliqué l’enquête. Après plus d’un an, le dossier est revenu à la Cour suprême et a été associé aux affaires liées au “Predatorgate”. En juillet 2024, le procureur adjoint de la Cour suprême a rejeté une première fois la demande d’accès de Stavros Malichudis, une décision confirmée par un deuxième refus en octobre 2024.
La Grèce se situe au 88ᵉ rang sur 180 pays et territoires au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024, la pire place au sein de l’Union européenne.