Ethiopie : nouveau souffle pour les médias et les journalistes
Un an après l’investiture du Premier ministre Abiy Ahmed, l’Ethiopie ne compte plus un seul journaliste en prison et plusieurs centaines de médias, interdits sous l’ancien gouvernement ont été autorisés. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à poursuivre la dynamique engagée en adoptant un cadre légal plus protecteur pour les journalistes et en faisant de leur pays un modèle régional en matière de liberté de la presse.
Libération de journalistes, sites d’information débloqués, médias interdits de nouveau autorisés, les mesures prises par le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed en faveur de la liberté de la presse ont été aussi rapides que spectaculaires depuis son investiture le 2 avril 2018. Pour la première fois depuis plus de 15 ans, aucun journaliste ne se trouve en prison en Ethiopie pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions. 264 sites et blogs autrefois interdits ont été autorisés et d’importantes chaînes de télévision comme OMN et ESAT contraintes de mener leur activité depuis l’étranger peuvent désormais opérer en Ethiopie. En tout 23 publications et 6 chaînes de télévision ont vu le jour et ont reçu les agréments au cours des derniers mois.
“Depuis un an, l’Ethiopie est passée de l’une des plus grandes prisons d’Afrique pour les journalistes derrière son voisin érythréen à un pays où les professionnels des médias peuvent désormais exercer leur rôle de quatrième pouvoir en critiquant l’action gouvernementale sans être immédiatement jetés en prison, salue Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous appelons les nouvelles autorités à poursuivre les progrès importants effectués en honorant au plus vite la promesse de réformer un cadre légal particulièrement répressif pour les journalistes, en améliorant l’accès à l’information publique, en bannissant définitivement les coupures internet et en se faisant les défenseurs et promoteurs de la liberté de la presse au-delà de l’Ethiopie.”
Un environnement légal hostile aux journalistes
La commission établie pour réviser les lois les plus liberticides pour la presse devrait rendre ses conclusions dans les prochaines semaines. L’arsenal mis en place ces dernières années pour museler la presse est particulièrement étoffé. Le célèbre journaliste Eskinder Nega avait été condamné à 18 ans de prison pour s’être ouvertement interrogé sur les répercussions des printemps arabes en Éthiopie sur la base d’une loi antiterroriste adoptée en 2009. La loi sur les médias de masse et l’accès à l’information de 2008 donne également de larges prérogatives au gouvernement pour poursuivre les auteurs présumés de diffamation et pour empêcher la publication de contenus susceptibles de troubler l’ordre public. Enfin, la loi sur la cybercriminalité de 2016 prévoit des peines de plusieurs années de prison pour le simple partage d’une information qui serait jugée diffamatoires. Ces trois lois ont conduit à des dizaines de poursuites, d’arrestations et de peines de prison arbitraires contre des journalistes et des blogueurs qui n'avaient fait qu’exercer leur droit légitime à la liberté d’expression et d’information.
De vieux réflexes à abandonner
Si internet, régulièrement coupé sous la précédente administration a globalement été rétabli, des coupures ponctuelles ont été enregistrées par RSF au cours de l’année 2018 en marge d’affrontements inter-ethniques rendant l’accès aux sources et le partage d’information difficile pour les journalistes qui souhaitaient témoigner de ces événements.
Les tentatives d’ingérence dans la ligne éditoriale des médias indépendants ont également la vie dure. En juin dernier, les responsables des chaînes ENN et Tigray TV ont été convoqués par l’organe de régulation au motif qu’ils n’avaient pas retransmis en direct un rassemblement de militants du parti au pouvoir.
Enfin, si le Premier ministre a donné deux conférences de presse depuis son entrée en fonction, l’accès à l’information publique reste très insuffisant et la loi garantissant ce droit largement inappliquée.
L’Ethiopie occupe la 150ème place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.