Enquête RSF : de nouveaux éléments accablants contre les suspects de l’assassinat de Martinez Zogo au Cameroun
Nouvelles révélations de Reporters sans frontières (RSF) : l’exploitation des téléphones portables et les auditions ont mis en lumière de nouveaux éléments à charge très lourds. L’implication de l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga se précise et l’étau se resserre autour du garde des Sceaux Laurent Esso, l’un des piliers du régime camerounais.
L’enquête conjointe gendarmerie-police progresse vite. Et à ce rythme, elle risque bien de marquer le 90e anniversaire de Paul Biya lundi prochain. Au pouvoir depuis 1982, le président camerounais, qui a ordonné l’enquête, mesure sûrement à quel point cette affaire Martinez Zogo – enlevé, passé à tabac, et tué le 17 janvier par un commando des services de renseignement – est désormais susceptible d’éclabousser la fin de son règne, et peut-être d’emporter l’un de ses plus fidèles compagnons de route.
Comme l’avait révélé RSF, un premier coup de filet visant plus d’une vingtaine de membres des services de renseignement camerounais – la direction générale de la recherche extérieure (DGRE) – dont son patron, le redouté Maxime Eko Eko et son directeur des opérations spéciales Justin Danwe, a mené à l’arrestation de l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga le 6 février.
Selon les confidences faites à RSF, le rôle du magnat camerounais – propriétaire du journal L'Anecdote et de la chaîne Vision 4 – comme principal commanditaire du crime commis contre le directeur d’Amplitude FM se confirme. Les témoignages des six membres du commando, principalement recrutés en dehors de Yaoundé comme l’a appris RSF, corroborent celui de Justin Danwe, dont nous avons révélé le contenu sidérant. La présence sur la scène de crime de Jean-Pierre Amougou Belinga est également étayée par ces témoignages et d’autres éléments de preuves. L’exploitation des téléphones des suspects, notamment, a permis de vérifier les appels passés entre Jean-Pierre Amougou Belinga et Justin Danwe ainsi que celui passé au garde des Sceaux Laurent Esso dans la soirée du 17 janvier. Face au grand nombre d’éléments à charge, la reconstitution des faits envisagée ces derniers jours ne semble désormais plus une priorité pour les enquêteurs selon les informations recueillies par RSF.
Il “voulait en finir avec lui”
Autre nouvelle preuve accablante, toujours selon des sources très proches de l’enquête, les traces d’un paiement de 35 millions de francs CFA (environ 53 000 euros) qu’aurait fait parvenir Jean-Pierre Amougou Belinga à Justin Danwe auraient été repérées. Ces fonds auraient transité via le compte du colonel Etoundi Nsoé, ancien commandant de la garde présidentielle et responsable officieux de la sécurité privée de l’homme d’affaires dont il est également le beau-père. Ce militaire à la retraite a été arrêté lundi à l’instar du patron du groupe de presse de J.P. Amougou Belinga, Bruno Bidjang. Ce dernier se montrerait assez coopératif avec les enquêteurs. Une confrontation entre les deux hommes devait avoir lieu ce jeudi.
Enfin, RSF a recueilli, au cours de ces deux derniers jours, deux témoignages faisant état de menaces proférées par J.P. Amougou Belinga ou son entourage contre Martinez Zogo. Dans un enregistrement audio consulté par RSF, le journaliste s’inquiétait dès le 9 janvier – une semaine avant sa mort – d’avoir été contacté par un homme “très proche de lui”. Ce dernier lui avait signifié que l’homme d’affaires “voulait en finir avec lui” ainsi qu’avec au moins huit autres journalistes camerounais.
Joint par RSF, l'avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, l'ancien bâtonnier Charles Tchoungang, estime qu’aucune procédure n’a été respectée depuis le début de cette affaire. Il dénonce avec colère une “enquête unilatérale”, des “perquisitions sans mandat”, un “dossier vide” et une “manipulation inacceptable de l’opinion publique”.
Laurent Esso dans le viseur
Les efforts se concentrent maintenant sur le rôle qu’a pu jouer le ministre Laurent Esso. “On a les preuves qu’il est fortement impliqué” confie l’un des enquêteurs qui a refusé d’en dire plus. L’homme aux six mandats successifs au sein du gouvernement camerounais depuis 1996, l’un des plus anciens compagnons de route du président Paul Biya, est déjà surveillé de très près ces derniers jours. Des gendarmes étaient postés à proximité de son domicile sans qu’il soit question de menaces pour sa sécurité… Depuis sa geôle au secrétariat d’État à la Défense, J.P. Amougou Belinga a demandé à le joindre à plusieurs reprises. Son souhait n’a pas été exaucé. RSF a par ailleurs appris de source sûre que l’homme d’affaires s’était rendu pendant plus d’une heure dans le bureau du ministre, le 3 février, alors que de forts soupçons pesaient sur lui depuis plusieurs jours.
RSF a tenté à diverses reprises de joindre Laurent Esso sans y parvenir.
Des mercenaires de la désinformation identifiés
Dans une cellule voisine, le patron de la DGRE Maxime Eko Eko semble lui aussi acculé. Le véhicule Prado qui a été utilisé pour kidnapper le journaliste lui appartenait. “Difficile d’imaginer que ses hommes lui aient emprunté sans qu’il en ait été informé”, estime l’une de nos sources qui ajoute que le patron des renseignements a lui aussi “mangé sa part”, allusion aux sommes qui auraient été versées aux participants à l’opération.
Le dossier est désormais entre les mains de la justice militaire et du commissaire du gouvernement. Les 31 suspects arrêtés devraient être placés sous mandat de dépôt au plus tard d’ici à la fin de la semaine et probablement transférés à la prison centrale de Yaoundé. Par qui seront-ils rejoints? Jusqu’où remontent les complicités? L’enquête se poursuit et une centaine de personnes en tout sont désormais considérées comme des personnes d’intérêt dans ce dossier.
Les auteurs des opérations de désinformation, qui se succèdent depuis le début de l’affaire et ayant également visé RSF, pourraient notamment être inquiétés. Les enquêteurs affirment avoir mis la main sur plusieurs preuves de paiements effectués par le clan Belinga – allant de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros – dans le but de discréditer les informations lui étant défavorables, de le réhabiliter ou de créer des diversions pour influencer l’enquête ou l’opinion publique. Au moins 18 personnes avaient été identifiées hier soir.