Enquête RSF : au JDD, les annonceurs commencent à faire leurs valises
La prise en main du JDD par Vincent Bolloré provoque déjà une fuite des annonceurs traditionnels du journal, qui craignent pour leur image. Le “projet économique” pour l’hebdomadaire a déjà pris un coup.
Alors même qu’Arnaud Lagardère justifiait le changement de direction éditoriale par “un choix économique” et non pas “idéologique”, les annonceurs traditionnels du JDD commencent à déserter le journal. En plus d’avoir provoqué la plus importante fronde sociale de l’histoire de l’hebdomadaire dominical, la nomination de l’ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, contre l’avis de toute une rédaction, est en passe d’entraîner de lourdes pertes financières. La survie de ce titre emblématique de la “presse du 7e jour” va se jouer dans les mois qui viennent.
Dans une note du 28 juin obtenue par RSF, la très influente agence de communication Publicis Media (concurrente de Havas, propriété de Vincent Bolloré) qui dispose du budget média de LVMH, actionnaire du groupe Lagardère, d’Intermarché ou encore de La Poste, des annonceurs réguliers du JDD, a clairement recommandé à ses clients de suivre “un principe de prudence” en suspendant les parutions prévues dans l’hebdomadaire. Le géant mondial de la communication y exprime “sa réserve” sur le positionnement du quotidien à l’avenir, “et à plus forte raison si la rédaction actuelle venait à être écartée”.
“Face à l’importante baisse des revenus publicitaires en perspective, contribuant à des pertes de plusieurs millions d'euros prévues d'ici à la fin de l'année, les motivations économiques mises en avant par Arnaud Lagardère pour justifier le choix de cette nomination relèvent au mieux d’un pari très risqué, au pire d’une tentative maladroite de faire passer un choix sur lequel plane l’ombre de Vincent Bolloré. Nous sommes en train d’assister à la mise à mort de ce journal sur l’autel de considérations politiques et idéologiques. Il est urgent de mettre en place de nouvelles garanties pour protéger l’indépendance des rédactions.”
“L’évaluation des dégâts change toutes les semaines. On navigue complètement à vue”, rapporte une source en charge de ces questions financières au sein du groupe Lagardère News, propriétaire du JDD. Dès la non-parution du deuxième numéro (sur six) la baisse des recettes et l’absence de ventes en kiosque ont fait perdre plus d’un million d’euros au journal, confie un autre salarié du groupe. Fin juin, une évaluation interne effectuée après l’annonce de la nomination de Geoffroy Lejeune prévoyait une chute des revenus publicitaires de 60 % pour 2023. “On sera de toute façon très loin de l’objectif initial de huit millions d’euros de recettes fixé en début d’année”, confirme une source au sein du groupe.
Entre méfiance et menaces de départ, les rendez-vous avec les “grands comptes” – les principales enseignes qui achètent de l’espace publicitaire dans le journal – se passent mal. Si les principaux annonceurs se retirent comme certains le laissent déjà entendre, le manque à gagner en matière de revenus publicitaires pourrait atteindre plusieurs millions d’euros d’ici à la fin de l’année. Le changement de ligne qui pourrait se confirmer par l’arrivée d’autres journalistes de Valeurs Actuelles sera scruté de près.
À ce rythme là, les 75 ans du journal qui devaient être fêtés avec une édition spéciale – “le monde en 2050” – et une soirée événement le 10 septembre prochain risquent de ressembler à un enterrement. “On a changé de monde”, confie une journaliste. “Le JDD tel qu’il existait est sans doute mort”, ajoute un autre. La soirée prévue pour l’occasion a été annulée et les centaines de magnums de champagne décommandées. La publicité générée pour ce numéro spécial devait rapporter gros. Les pertes sont estimées à 150 000 euros.